How to bury a millionaire

Je ne sais pas comment vous avez commencé le week-end, mais moi, j’ai fait un enterrement. Je sais, vous allez vous dire: « Encore ? », pensant peut-être même : « Est-ce qu’on pourrait pas avoir un mariage, pour une fois, est-ce que ce serait pas plus sympa ? » et sur ce point je serais tout à fait d’accord avec vous. En deux ans de prêtrise, j’ai toujours zéro mariage à mon actif – la semaine dernière j’ai eu un couple au téléphone, mais je n’ai plus jamais eu de nouvelles – alors je me dis : soit j’ai pas de chance, soit je ne porte pas chance.

Ce qui pourrait être le cas, car j’ai encore récemment appris la séparation d’un couple d’amis, le quatrième couples d’amis en…deux ans (tiens donc). Alors, je ne sais pas ce qui se passe avec les mariages, je n’ai pas de recette, pour être tout à fait honnête avec vous je pense essentiellement que si mon propre couple tient cela repose uniquement sur le fait que mon mari a bon caractère (et aussi que quand on est linuxien, on sait, en général, éviter les tentations), mais une chose que j’ai remarquée c’est que ces couples ce sont tous des amis qui se sont rencontrés quand ils étaient étudiants, ou pas loin. Un des pasteurs qui m’a formée m’a expliqué un jour qu’avant les gens ne divorçaient pas parce qu’ils vivaient moins longtemps – ce que je trouve affreusement cynique mais enfin en y réfléchissant quand les gens vivaient cinquante ans, il y avait moins de cancers aussi. Et donc quand on est ministre de Jésus-Christ, on aimerait bien croire que l’amour est éternel, mais apparemment le mariage a bien souvent une date de péremption. Est-ce que c’est la crise de la quarantaine ? Est-ce que c’est l’épuisement d’avoir trop travaillé tout en élevant des enfants ? Est-ce qu’on change, tout simplement, est-ce que la vie nous change ? Est-ce que c’est mieux d’attendre d’être un peu plus vieux pour se marier (mais c’est aussi le moment où vos ovules commencent à vous lâcher donc ce n’est pas un bon plan)?  Est-ce que c’est juste une grosse connerie, de se séparer, ou est-ce que la connerie initiale c’est de se marier ? BREF, je n’ai pas la solution, ce qui ne m’a pas empêchée de me poser beaucoup de questions pendant les longues heures vides et blanches de mes nuits angoissées.

Du coup, au final, d’avoir un enterrement impromptu cette semaine, c’était presque un soulagement. En tous cas personnellement, ça m’a changé les idées. Au final, un mariage ce n’est pas toujours gai, et un enterrement ce n’est pas toujours triste non plus.

Surtout avec quelqu’un comme Robert, apparemment.

Mercredi quand mon chef a passé la tête dans mon bureau pour m’annoncer le décès de Robert, que sans mauvais jeu de mots nous ne connaissions ni d’Adam ni d’Ève, j’ai demandé à mon chef ce qu’on savait de lui, il m’a répondu : « Pour l’instant on ne sait pas grand chose, on sait juste qu’il est mort ». Mon chef est comme ça, un peu cynique parfois (décidément c’est une maladie). Par exemple, un jour que notre organiste se plaignait de devoir faire un service funéraire pour un athée, n’ayant aucune idée de la musique qu’il devait jouer pour l’occasion, mon chef lui a recommandé « Highway to hell ». Mais bon là apparemment Robert n’était pas complètement athée, d’après nos registres il était paroissien à St D’s de 1991 à 1995 – une courte carrière de chrétien cela dit- mais enfin, c’est pour ça que sa famille, dans son désarroi, nous a appelé.

Pour organiser un enterrement express en moins de 36 heures.

Amatrice de défis, j’ai quand même accepté de faire l’homélie funéraire – une grande première pour moi. (C’était pour me demander ça que mon chef passait la tête par la porte de mon bureau, le vendredi normalement il va au golf et là du coup qu’il prêchait déjà dimanche, il était bien emmerdé d’avoir tout ce travail en plus). Ce qui était nouveau aussi pour moi, c’était de préparer l’enterrement avec la famille. Jusque là, j’ai participé à des enterrements où tout avait été décidé avant avec le recteur ou la rectrice mais cette fois, j’étais là quand les gens sont venus nous rencontrer. Et là, le premier truc qui m’a fait bizarre c’est que c’était complètement « Business like » : Bonjour, asseyez-vous, alors à quelle heure on fait cet enterrement, qu’est-ce que vous voulez comme musique, qui va faire les lectures – avec cette touche typiquement pastorale qui consiste à demander aux gens leur avis sans en tenir aucun compte, juste en leur disant que malheureusement on ne peut pas faire comme ils veulent, mais bon on leur a posé la question. Enfin, j’imagine que ce n’est pas un truc propre à l’église au final, c’est business like. Mais bon, je ne sais pas si vous avez remarqué mais émotionnellement je suis un peu une éponge et du coup à force de parler business je commençais à « hyperventiler » comme on dit en américain. L’atmosphère était plutôt lourde et je n’arrêtais pas de penser « Ce n’est pas possible, ils se sont tous engueulés avant de venir » (ce qui évidemment arrive tout le temps aux enterrements, les gens préférant généralement être en colère plutôt qu’être malheureux, on les comprend). Au final, comme mon chef arrivait au bout de son truc, et qu’il demandait à la famille s’il avaient des questions et vu qu’ils n’en avaient pas, j’ai quand même levé la main pour poser LA question, celle qu’à mon avis on aurait dû poser depuis le départ, celle en tous cas qui ma taraudait l’esprit depuis le début – mais ce Robert, c’était qui au final ? Parce que oui dans l’église on fournit des services aux gens mais enfin, à la base, on est une communauté fraternelle et que si je prêche à l’enterrement de quelqu’un, j’aimerais bien savoir qui ce quelqu’un était. Je n’ai pas dit tout ça, bien sûr, mais j’ai juste demandé à la famille de me parler de lui. Et là mes amis, c’était comme de tordre une éponge gonflée d’eau, on a perdu dix kilos d’atmosphère lourde d’un coup. En tous cas moi j’ai commencé à re-respirer normalement car les visages se sont détendus, et chacun avait une anecdote à raconter.

Qui était Robert ? Si ses enfants nous l’on bien décrit, je crois cependant que c’est Barbara notre secrétaire qui a un sens de l’humour incroyable qui l’a le mieux résumé au final en me tenant les bulletins ce matin. C’était « A great catch » : Parce que la photo que ses enfants on choisi de mettre dans l’église c’est une photo de Robert, souriant et bronzé, beau garçon, qui pose sur son bateau avec un énorme poisson et qu’en anglais  « a great catch » ça veut dire « un bonne prise » mais ça veut aussi dire « un bon parti ». Autant vous dire que je suis partie faire le service à moitié hilare.

Robert ne m’en aurait pas voulu, car comme je l’avais appris, Robert, il aimait la vie. Et il pouvait se le permettre a priori. Ayant décidé à la fin de ses études qu’il ne travaillerait jamais pour personne, il s’était lancé tout seul dans les affaires, l’immobilier, si j’ai bien compris. Après avoir cherché son nom dans Google, j’ai compris qu’il aurait déclaré : « Dans ce monde, il y a  toujours moyen de se faire un dollar ou deux ». Apparemment il vendait tout ce qui pouvait se vendre et il en profitait. Non seulement il avait une maison à McLean – ce qui, croyez-moi, n’est pas rien – mais il avait un yacht et collectionnait aussi …les voitures de collections. Généreux pourtant, il a permis d’ouvrir la branche « Management » de l’Université de Virginie grâce à sa généreuse donation de…trois millions de dollars. Bref, vous l’avez compris, il n’était pas dans le besoin. Robert dépensait large, vivait large. Une vraie success story l’américaine.

« J’espère quand même que dans ton homélie tu ne vas pas dire qu’il passait son temps à dépenser son argent dans les casinos » m’a dit mon chef.

Et là mon sang s’est figé dans mes veines,  car 5 mn après la réunion j’étais déjà tapoter à fond les ballons sur mon petit PC un sermon qui reposait uniquement là dessus : que Robert était un entrepreneur, et surtout un joueur invétéré, qu’il dépensait sans compter, qu’il menait une vie risquée. J’ai pris une grande bouffée d’air et j’ai dit à mon chef : « Ben si en fait, je compte parler que de ça…mais dans une perspective chrétienne » (Et là mon chef m’a dit « qu’il plaisantait »).

Parce que oui bien sûr faire des affaires, dépenser des sous et même aimer l’argent, on peut voir ça d’un point de vue moralisateur – et je ne renie pas ce point de vue – mais cependant devinez quoi, la vérité est toujours plus compliquée qu’il n’y parait.

D’abord parce que Pascal a dit que la vie chrétienne, c’est le pari le plus fou qu’un homme puisse faire. Quand on est chrétien on mise toute sa vie sur l’existence de Dieu, même si on en a aucune preuve, on mise quand même parce que si on a la moindre chance de trouver Dieu, c’est tellement immense que ça vaut le coup de tenter le coup. C’est le pari le plus fou et en même temps le plus raisonnable : tout perdre pour tout gagner. C’est ce que font les joueurs, ce que font les investisseurs, c’est fou mais c’est tellement raisonnable car il n’y a que quand on accepte de perdre, de donner de soi, que l’on peut recevoir. Être chrétien, c’est vivre large, penser large, aimer large. C’est exprimer cette passion et cet amour de la vie qu’il y a en Dieu. Et cet amour de la vie prend bien des formes. Robert était un viveur certes, mais c’est aussi cette énergie qui lui faisait donner son argent à l’Université de Virginie, accompagner ses petits-enfants à tous leurs matchs à l’école, cultiver un petit jardin et ramener des légumes à ses infirmières et du poisson à son médecin. Robert aimait bien aussi partager son petit déjeuner avec son chien. Bref, j’ai dit tout ça dans mon sermon, et quand j’ai parlé du petit déjeuner avec le chien j’ai levé la tête et je me suis rendue compte que tout le monde m’écoutait. Une assistance de 200 personnes, je n’avais jamais eu autant de monde dans une église, et ça ne m’était jamais arrivée que tout le monde m’écoute en même temps. Et c’est tant mieux qu’ils m’écoutaient car ce que j’avais à leur dire c’était ça : Dans la vie, quand on est prêt à tout perdre et quand on donne tout, c’est comme quand on perd sa vie, quand on meurt : On peut aussi tout trouver et tout gagner. Si on a suffisamment la foi, suffisamment d’amour, on trouve Dieu et on gagne Dieu. Car ce qui compte dans la vie ce n’est pas de faire des affaires ou d’être quelqu’un, ce qui compte dans la vie c’est d’avoir un cœur suffisamment grand pour partager son petit déjeuner avec son chien (même si le bacon, au fond, ce n’était pas bon pour lui – la touche moralisatrice de mon sermon).

Alors je sais bien sûr, Robert aurait pu faire creuser des puits en Afrique plutôt que de partir en vacances dans les iles, il aurait pu sauver la banquise plutôt que d’acheter des voitures, nourrir les petits enfants du Tiers-monde plutôt que de claquer son pognon au casino. Je n’ai pas cherché à en faire un exemple de sainteté loin de là, j’ai juste cherché à dire que tous nous exprimons quelque chose qui vient de Dieu quand on a l’amour de la vie.

L’amour des autres aussi. Parce que je ne sais pas ce que Robert faisait pour les enfants d’Afrique, mais à la fin du service tous ses petits-enfants à lui étaient en larmes, n’en revenant pas que leur merveilleux grand-père soit à tout jamais parti. Ça m’a brisé le cœur de voir tous ces enfants en larmes, rappelé des souvenirs d’avoir perdu mon grand-père à douze ans, lui qui avait en commun avec Robert de partager son petit-déjeuner avec son chien (en moins lipidique car en France on ne mange pas de bacon). Ça m’a aussi rappelé ce que m’avait dit mon père le jour où on a descendu le cercueil de mon grand père dans le grand escalier en colimaçon de sa demeure provençale. Alors que mon oncle pleurait à chaudes larmes, non père m’a pris la main et m’a dit : « Ça pourrait être affreux, mais ça ne l’est pas car nous avons la foi. On est tous tristes mais pense à ton grand-père, comme il doit être heureux de revoir ses parents. Combien de temps cela fait à ton avis qu’il n’a pas vu ses parents ? Pense comme il doit être heureux ». Je ne sais pas mais je trouve que c’est une des choses les plus intelligentes et les plus affectueuses que l’on puisse dire à une enfant dans ces moments là. En tous cas moi ça m’a réussi puisque maintenant je fais des enterrements.

Quand on donne sa vie, quand on quitte sa vie, on trouve une vie plus large et plus grande. Je n’en suis pas certaine tous les jours, mais aujourd’hui j’en étais persuadée.

Ce qui m’a peut-être été confirmé par la suite. Car si la vie éternelle commençait pour celui qui jusque là avait seulement mené la grande vie, ma petite vie à moi continuait. Et après toutes ces émotions et ces histoires de petit-déjeuners, j’avais furieusement envie d’un egg sandwich. Et c’est là que je monte dans ma voiture qui n’est certes pas une voiture de collection mais pas loin, ma voiture de luxe d’occas que j’ai craqué la semaine dernière et que j’ai acheté avec l’intégralité des mes trois derniers salaires et de mes deux prochains (Travaillez pour vivre et ne vivez pas pour travailler qu’ils disent) – je ferai un article spécial là-dessus prochainement – bref, après tout ça, ma voiture de moins d’une semaine NE DEMARRE PAS.

L’horreur.

Car je veux bien faire des grands discours sur la vie et la mort mais une voiture de moins de une semaine qui rend l’âme, c’est comme qui dirait prématuré. Après avoir beaucoup hésité à appelé Xavier pour lui annoncer la terrible nouvelle, je suis d’abord allée trouver mon chef – qui sait ce qu’il faut faire dans ce genre de circonstances. Et donc mon chef – que je trouve j’ai beaucoup critiqué depuis le début de cet article – mon chef donc est immédiatement venu voir pour me dire qu’il ne pouvait rien faire et qu’il fallait appeler le garage – cette fois c’était moi qui étais au bord des larmes – cependant, est-ce sa pastorale présence, dans un dernier mouvement d’espoir, me remettant au volant je trouve ce qui manque : mon porte clé avait perdu la pièce qui contient la puce de sécurité.

Je re-respire un grand coup, tourne la clé. LA VOITURE DÉMARRE. Je en sais pas si c’est mon chef qui fait des miracles, mais la voiture était ressuscitée. Comme ça. Ou c’est peut-être Robert qui pensait que ce serait trop injuste que le petit prêtre après avoir prêché son enterrement loupe son petit-déjeuner.

J’ai conduit jusqu’à mon restaurant préféré et, à deux heures de l’après-midi, toujours en robe stricte et col romain, j’ai pris mon petit déjeuner. Un petit déjeuner en l’honneur de Robert, un petit déjeuner à la mémoire de mon grand-père, un petit déjeuner avec les morts – avec les morts qui sont parfois plus vivants que les vivants et certainement plus heureux au banquet éternel – j’étais bien.

L’amour est éternel, au fait. C’est juste qu’on est des grosses billes quand il s’agit d’aimer.

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3 réponses à How to bury a millionaire

  1. Sandrine S dit :

    « Highway to hell », ça c’est vraiment excellent.
    Le reste aussi d’ailleurs.
    Ce brave Robert aura eu une belle vie, des petits enfants aimants, un bel enterrement et un savoureux post de blog.
    Sinon, il reste quelques couples qui se sont connus à 20 ans et qui tiennent le coup à 50 passés.

    • Fanny dit :

      Sinon, il reste quelques couples qui se sont connus à 20 ans et qui tiennent le coup à 50 passés.

      Si vous avez un secret, je serais heureuse de l’entendre !!

  2. Sandrine S dit :

    Pas un secret, mais une phrase à deux balles entendue je ne sais où et que j’essaye de faire mentir : « dans un couple, on fait souvent tout pour que ça ne marche pas et pas grand chose pour que ça marche ».

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