Sur la route de Madison

Alors comme on n’en finit pas d’apprendre des choses nouvelles sur ce blog, je viens vers vous aujourd’hui avec une pièce maîtresse à ajouter à l’édification de votre culture américaine. Préparez-vous. Vous ne le savez peut-être pas encore, car je m’en suis moi-même rendue compte un peu tard, mais aux États-Unis, il y a ce qu’on appelle les États-Unis, vu de loin (la France, par exemple) et il y a les États-Unis, les vrais. Moi-même j’étais comme vous au départ, je ne comprenais pas bien la différence et par exemple quand mon copain Patrick me disait que sa femme ne voulait pas quitter New-York car elle ne voulait pas, je cite, « vivre aux États-Unis », je rigolais doucement, pensant que c’était une blague. Quand je dis une blague, disons, je comprenais ça comme un moyen de dire : « Ma femme ne veut pas aller vivre dans le fin fond du Texas dans une bicoque qui s’envole à la première tornade, entourée de gens qui se baladent avec des fusils, votent pour Donald Trump et font des barbecues à la moindre occasion. » Bref, le cliché des États-Unis pour les étrangers et les gens cultivés – sauf bien sûr pour le coup des barbecues car tous le monde fait des barbecues aux États-Unis, sauf en Californie où ils sont tous végétariens. Mais bref, j’étais comme ça, je n’avais pas conscience qu’en effet il y a plusieurs pays dans un seul pays, pas parce qu’il y a d’un côté les citadins, beaux et intelligents, et de l’autre les bouseux pauvres et crétins, mais tout simplement parce que la culture américaine il faut un peu s’enfoncer dans les terres pour aller la trouver parce que sur la côte, il y a tellement de diversité culturelle, raciale et religieuse qu’au final ce qui unit les gens, c’est d’être tous différents. À Washington, c’est un peu comme à New-York. Pratiquement personne naît D.C, pardon, pratiquement personne n’est d’ici, voire tout le monde vient de très loin : indiens, coréens, syriens, pakistanais, boliviens, irakiens, péruviens et bien sûr quelques français. Je ne m’en plains pas. D’abord, cela m’a fait considérer le fait de demander à terme la nationalité américaine non plus comme une sorte d’usurpation, mais comme quelque chose de légitime. Être américain, ce n’est pas seulement être Born in the USA, c’est aussi être un immigrant qui cherche une terre où il peut vivre comme il l’entend ou disons: selon les valeurs qu’il choisit. C’était vrai à l’époque mais c’est toujours vrai aujourd’hui. Quelque chose qui m’étonne toujours ici, c’est ce sentiment que vous avez de pourvoir être exactement qui vous êtes ou qui vous voulez être, sans devoir rendre des comptes à personne, sans vous sentir jugé. Personne ne se moque de vous, jamais. Du moment que vous faites votre truc, tout le monde trouve ça très bien, parce que c’est votre truc, c’est culturel, personnel, tout ce que vous voulez. Bien sûr, cela veut aussi dire que le reste du monde s’en fout un peu de vous puisque rien ne porte à conséquences, et cela veut dire aussi que vous avez aussi à supporter les frasques des autres sans sourciller, car pour les mêmes raisons que celles que je viens d’énoncer, les américains ne connaissent pas le ridicule – je ne crois pas que ce soit une notion ou même un mot qui existe. « Ridiculous » ici veut seulement dire « absurde », la plus proche notion que vous avez du ridicule au sens français est « self-conscious » qui veut plutôt dire que vous vous sentez le centre d’attention, et que ça vous met mal à l’aise. Sans plus. Bien sûr, vous avez toujours la possibilité de « make a fool of yourself » mais ça, ça veut dire que vous le faites vraiment exprès. Par exemple, vous avez bu.  Mais ce sont des circonstances tout à fait exceptionnelles, évidemment. Bien sûr, que les américains n’aient pas la notion du ridicule, vous vous en êtes peut-être rendus compte sans moi. Il vous suffit de regarder un show TV. Et bien sûr, vu de loin (de France, par exemple) c’est affligeant mais bon, on a beau dire, quand vous êtes au milieu de ça, vous en mesurez les avantages car c’est quand même sacrément libérateur et voilà au final, je vous le confirme, ce n’est pas un mythe : les États-Unis, c’est le pays de la liberté.

Vous êtes contents de l’apprendre, je sais. Mais je n’ai pas perdu le fil et j’en reviens à ce que je voulais vous dire : à vivre immergés dans cette grande soupe de gens qui « font leur truc », le melting-pot comme on dit en français, vous finissez par vous demander au final ce qui est vraiment américain. J’avoue que ça m’a tracassé pendant un moment – cinq ans – avant de me rendre compte que ça vient progressivement, voire insidieusement, quand le vent du Midwest (et depuis Chicago on sait qu’il souffle bien) parvient jusqu’à la côte Est. Vous commencez lentement, à vous rendre compte que vous écoutez de plus en plus de musique du New-Jersey, genre vous ressortez votre vieux CD de Bruce Springsteen, Born in the USA (donc) et puis un jour au supermarché vous achetez compulsivement le Best of de Bon Jovi à un moment où personne ne vous regarde, et un autre jour encore, vous vous réveillez au volant de votre voiture (façon de parler) et vous réalisez que ça fait une demi-heure que vous êtes sur une station de country music et que vous ne vous êtes rendu compte de rien, limite vous avez passé un bon moment, car quand même aller au boulot dans la fraîcheur d’un dimanche matin en écoutant des guitares pleines de cordes qui font tzoing tzoing tzoing, c’est pas mal relaxant, et paf, deux dimanches plus tard vous vous retrouvez à prêcher là-dessus et à expliquer à vos fidèles que « Comme le dit la chanteuse texane Maren Moris, conduire c’est un peu faire une expérience de Rédemption » – c’est pas une blague, le sermon est là : Sermon 0410

100_5892_smallMais ça, c’était avant qu’on fasse l’expérience des routes du Midwest, parce qu’il faut le vivre pour en parler. Je disais justement ça à Xav ou plus justement, je ne lui disais pas, quand on était  Sur la route de Madison, l’Interstate 94 entre Milwaukee et Madison (donc), en plein cœur du Wisconsin, je conduisais au soleil couchant, on se fait doubler par une Thunderbird rutilante des années 50 (car nous bien sûr, on avait une petite voiture de location pourrite), la radio entame les premières notes de « Hotel California » et au moment où j’ouvre la bouche pour dire à Xav : « Dis-donc, on s’y croirait », je me mords la langue car je me rends compte qu’en fait, « on ne s’y croirait pas ». Du tout.

Parce qu’on y est.

En plein cœur de la culture américaine. Car mes amis, ce qui fait la différence aux États-Unis entre les États-Unis (les vrais) et les États-Unis (pour les citadins et les étrangers), c’est l’autoroute, bien sûr. Non pas l’absence ou la présence des autoroutes – car les autoroutes, il y en a partout, mais il y a d’un côté l’autoroute qui vous permet de voyager, de rêver, d’écrire des chansons et accessoirement de manger du poulet frit (à peu près partout) et de l’autre côté (C’est à dire sur la côte Est) il y a l’autoroute qu’on fait du sur place dessus parce que tout le monde va au même endroit en même temps (New-York et Washington, donc). Il y a un pays dans le pays, un pays où conduire est un plaisir, et un pays où c’est l’angoisse absolue.

100_5727_small 100_5729_smallAlors qu’est-ce qu’on faisait dans le Wisconsin, c’est une très bonne question que je me suis moi-même posée, une première fois avant de monter dans le coucou d’American « Eagle » Airlines qu’on a failli pas partir car le train d’atterrissage était bloqué (une chance qu’ils s’en soient rendus compte avant le décollage) et que Xav a failli s’assommer dedans avant de se rendre compte qu’il ne pouvait pas se tenir debout dans l’allée centrale, qu’est-ce qu’on faisait dans le Wisconsin, une question que je me suis posée une deuxième fois après avoir roulé trente miles au milieu de stations d’essence désaffectées, de « Seven Eleven »(l’équivalent du Huit à 8, mais en délabré) et des fameuses baraques de poulet frit, après avoir passé Pewaukee, Goose lake (le lac aux oies) et Petitippee (Bon ok, ça j’invente)  il m’a même semblé avoir articulé un « Mais c’est le trou du c.. du monde » – avant d’arriver à notre destination, la ville qui répondait au joli nom de, croyez-le ou non, Oconomowoc et c’est là que je m’exclame « Mais qu’est-ce que c’est joli », une petite église au bord d’un lac où une copine du séminaire nous avait invités pour son mariage (la raison de notre venue à Milwaukee) et c’est là que je réalise que le charme de l’Amérique profonde, on s’y fait.

Regardez, j’ai l’a100_5820_smallir content.

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Bien sûr on s’est fait surprendre parce qu’au début avec Xav, on avait fait comme d’habitude. On avait posé nos valises à l’hôtel, et après que j’ai eu argumenté un peu à l’accueil :  « Vous êtes sûrs que la suite présidentielle c’est pour nous, non parce qu’il y a même une cuisine dans la chambre et il y a deux placards pour ranger les affaires, vous allez nous faire payer un supplément ? » et le réceptionniste qui m’assure que non, ce n’est pas une blague, c’est juste un chambre standard (Je mets ça sur le compte de la fameuse habitude, celle des hôtels new-yorkais où il faut pousser le lit pour ouvrir votre valise), rassurés on fait comme dab donc, on file au musée d’Art qui il faut le dire est très joli, en forme de bateau, juste au bord du Lac Michigan, mais la le truc c’est que c’est limite si vous regardez les œuvres d’Art, car le Lac vous ne voyez que ça, sur la terre comme au ciel car ils sont exactement de la même couleur tous les deux.

DSCF0139 100_5877_smallLes choses se compliquent encore quand vous faites une pause, que vous allez vous mettre à table et que vous mangez – d’accord – un hamburger au poisson frit (j’étais d’humeur aventureuse) un hamburger qui, qui contre toute attente, vous met littéralement les larmes aux yeux et après ça vous avez juste envie de vous balader et de profiter du monde extérieur, vous faites encore une tentative culturelle avec un jardin de sculptures, et puis après quelques bières et un peu de cheddar (les spécialités locales), vous commencez à laisser tomber les peintres expressionnistes allemands pour vous intéresser à la culture locale et c’est là que vous apprenez providentiellement un dimanche matin que votre hôtel jouxte non seulement la première cathédrale épiscopale des États-Unis (où de façon surprenante Georges Washington n’a jamais mis les pieds (car il semble avoir fréquenté toutes les églises de Virginie) ça valait donc le détour), mais vous découvrez aussi incidemment que votre hôtel se situe également juste à côté de l’ancienne boutique de Mr Harley et des trois frères Davidson. Une chose en entraînant une autre, un dimanche après-midi, vous vous retrouvez dans le magasin de souvenirs, et après avoir acheté des cartes postales « pour les copines », des t-shirts « pour rigoler », et un porte-clés « au cas où », vous vous dites que visiter le musée, ça peut être vachement bien après tout. On est aux États-Unis, c’est vrai, personne ne va nous dire qu’on a l’air débile, même quand on se repointe le jour d’après car notre photo de tous les deux sur la Harley « n’a pas marché » et qu’il nous la faut absolument pour mettre sur le blog et que tous nos copains en France voient comme on n’a pas l’air ridicule, mais enfin pas très malin non plus.

DSCF0414Mais voilà, ce DSCF0415n’est pas si bête de visiter ce musée, car après avoir circulé, photographié et (un peu) rêvé sur les 250 « motos à travers les âges » (c’est à dire depuis 1903) exposées, je me retrouve face à un mur de télés avec des vidéos de motards, de toutes sortes de motards depuis ce qui semble être un vieux chef indien à une jeune mariée et j’écoute ce qu’ils disent et je réalise que mon aventure avec la country music et l’autoroute n’est pas un accident. Apparemment, il y a quelque chose de métaphysique, sinon de théologique, dans le fait de rouler sur une autoroute où on peut rouler – justement. Dans toutes les bouches j’entends le même mot revenir comme un refrain : liberté, liberté, liberté. Et c’est là que je comprends la différence entre la culture américaine (officielle) et la culture américaine (sous-jacente). À Washington, la liberté c’est les pères fondateurs, Lincoln, la philosophie des lumières, la Constitution, tout ça. Mais comme le disait Marx, quand on ne peut pas réaliser concrètement ses aspirations, on les renvoie dans le ciel des idées. Car dans le Midwest, la Constitution et les pères fondateurs, on s’en fout parce que liberté, c’est de rouler en Harley-Davidson. (Sans casque de préférence). Quand on y réfléchit, c’est quand même intéressant ce que l’on projette quand on est un intellectuel névrosé. À Milwaukee, j’ai appris que la liberté apparemment ce n’est pas seulement d’être la personne qu’on choisit d’être, de pouvoir dire ce qu’on pense, ou de choisir pour qui on veut voter, la liberté, apparemment c’est aussi, c’est simplement, de pouvoir aller d’un point A à un point B – une liberté bien terre à terre, toute simple et pas compliquée, une liberté bien souvent en péril aujourd’hui dans la capitale officielle des États-Unis. Mais bien sûr, Marx n’avait pas totalement raison non plus : les Pères fondateurs n’avaient pas forcément éprouvé le besoin de fantasmer une liberté toute théorique en rédigeant la Constitution, car quand on y réfléchit, à l’époque il n’y avait pas encore de bouchons sur les autoroutes non plus.

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D’un côté, la liberté selon Lincoln…De l’autre, la liberté selon Davidson…

Laissant là ces considérations, et avant de reprendre notre avion pour Chicago, on a fait une dernière halte pour photographier la célèbre de Statue de Fonzie car Milwaukee, outre la bière, le cheddar, les coucous, les Harley et les expressionnistes allemands immigrés, c’est aussi le pays de Happy Days. Et la conclusion, c’est qu’être américain, c’est peut-être être libre, quelque soit la façon dont on entend la liberté, mais c’est surtout de proclamer une liberté qu’aucun ridicule ne peut tuer : La liberté d’être cool, bien entendu.

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