Bye bye baby

Trois ans jour pour jour après mon ordination, une page d’histoire se tourne. Menokin Drive, c’est fini ! Et Alexandria aussi ! J’ai envie de dire « enfin » car après cinq ans à vivre dans un deux pièces, même quand on adore son chéri et son chat, on commençait à se sentir un peu à l’étroit. Mais c’est (presque) officiel : On déménage dans quinze jours, le 1er avril, et ce n’est pas un poisson. À nos cartons, prêts partez, ça va être chaud les marrons, mais toutes choses sont relatives : c’est quand même beaucoup moins de boulot que notre dernier déménagement. Après avoir trouvé un appartement de l’autre côté de l’Atlantique, cette fois on a été plus raisonnables et on a juste trouvé une petite maison de l’autre côté de la rue, à Arlington – la ville du fameux cimetière et du pentagone. On verra comment on sympathise avec les voisins. Une chose est sure : ce sont à nos petits voisins des arbres que nous allons manquer ici. Il était temps, après cinq ans de régime de cacahouètes, ils commençaient à se sentir serrés dans leur nids. Heureusement que Tao leur faisait faire un peu d’exercice ! La preuve en vidéos…

(Eh oui, bientôt les photos de la maison aussi, mais on attend d’avoir signé le bail – quand même)

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Dieu est un fumeur de gitanes

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Ces derniers temps en ville, on a pu observer cette statue qui fait parler d’elle aux États-Unis : Homeless Jesus, Jésus sans-abri. Sculpture qui fait parler d’elle parce que bien sûr, il y a un pas entre dire que Jésus était humble, menait une vie simple, et dire qu’il était pauvre, voire carrément SDF. Pourtant c’est lui-même qui le dit dans l’Évangile : « Les oiseaux ont des nids, les renards des terriers, le Fils de l’homme n’a pas une pierre à lui pour poser sa tête et dormir ». Mais voilà, les bonnes gens n’apprécient pas toujours de penser que le divin Maitre s’identifiait volontiers au pouilleux, voire même, sous un certain angle, était pouilleux lui-même – pardonnez-moi. Parce que dans ce cas-là, au lieu de dire « C’est de leur faute s’ils sont dans la merde » ou « Ce sont tous des drogués ou des alcoolos », cela  voudrait dire – si Jésus était lui-même SDF – qu’il faudrait aimer les pouilleux comme nous-mêmes, voire même, voire même, les aimer comme les envoyés de Dieu. C’est cette vérité qui dérange que nous rappelle ladite statue, statue qui fait une tournée dans tout le pays, d’église en église, ou disons : là où on veut bien l’accueillir – ce qui, croyez-moi, est loin d’être partout – sculpture où on voit Jésus emmitouflé, couché sur un banc, endormi.

WP_20160223_13_43_59_ProSeules les plaies sur ses pieds, stigmates de la crucifixion, permettraient de l’identifier quand on y regarde de bien plus près. Mais vous vous faites piéger pratiquement à tous les coups. Vous avancez dans la rue, et dans la même fraction de seconde vous vous dites, « Qui c’est celui-là, qu’est-ce qu’il fait là ? » et « Mon Dieu ! Ah ben oui, exactement, c’est le Fils de Dieu, Jesus himself ». Une mamie en Caroline du Nord a failli prendre une attaque en voyant depuis sa fenêtre ce squatter devant son église bien-aimée. Elle en appelée le fameux 911 avant de se rendre compte qu’elle avait livré le fils de Dieu aux flics. Pas cool pour une dévote paroissienne (Je le sais car c’est la mamie d’un copain séminariste). Mais j’avoue, maintenant que je l’ai vue de mes yeux vue, c’est ultra réaliste. Je suis littéralement tombée dessus alors que je revenais moi-même de mon Street Church hebdomadaire – littéralement « l’église dans la rue » – la messe que nous disons avec mon église du centre-ville dans un parc de Washington, une messe pour les sans domiciles, suivie d’une distribution de snacks divers et sandwichs au beurre de cacahouète qui ont toujours un franc succès (Je viens tout juste d’expliquer à mes amis américains les délices du beurre de noisettes « Noutélla », pour leur édification, mais ça n’a pas l’air d’avoir pris). Enfin, je dois donc vous avouer ça m’a fait un drôle de choc, de ne pas immédiatement reconnaitre mon divin Maitre – parce qu’il avait l’air d’un pouilleux justement. L’ironie c’est que pendant ce Carême, on réfléchit avec les bénévoles de Street Church sur ce que cela veut dire, d’être le Christ pour les pauvres, certes mais aussi, de voir le Christ en eux. Dieu aime bien blaguer avec moi – je ne lui en tiens pas rancune, j’aime bien blaguer avec lui moi aussi.

Alors qu’est-ce que ça veut dire de voir Jésus dans les pauvres ? Ça fait un peu bigote comme expression, vous ne trouvez pas ? Et puis je confirme : les SDF sont souvent des alcoolos ou des drogués – parfois les deux – ils ne se lavent pas tous les jours, et merci la non-sécurité sociale américaine, la plupart ont les dents gâtées et des problèmes mentaux parce qu’ils ne peuvent pas acheter leurs médicaments (Ils adorent m’entretenir sur la fin du monde et le jugement dernier. Enfin, ce n’est pas un signe de désordre mental en soi, mais certains sont assez exaltés). Qu’est-ce que cela veut dire de voir Jésus dans les pauvres, je crois que c’est simplement voir l’humanité sans nos fausses sécurités, argent, position sociale, relations, culture, voir une humanité à la fois terriblement dure et infiniment fragile, souvent incroyablement tendre et drôle, une humanité insoumise et perdue, une humanité inventive et tarée, une humanité en manque d’amour, une humanité en quête de Dieu ou de quelqu’un qui pourrait nous sauver. Car c’est ce que j’observe partout où je tourne les yeux, les gens dans la rue, les infos à la télé, les romans et les films : Nous sommes tous en quête de Rédemption. L’humanité a besoin de se transcender, constamment.

J’ai écrit le petit poème ci-dessous au milieu de ces réflexions de Carême. Un Carême long et fatiguant – il m’est apparu que ce Jésus sur le banc n’était peut-être pas un Jésus pouilleux mais peut-être tout bonnement un Jésus qui avait juste besoin de se cacher du monde et de se reposer. Si vous lisez entre les lignes, l’Évangile est plein d’allusions au fait que par moments Jésus n’en pouvait plus – des gens qui couraient après lui pour avoir des miracles, de ses amis qui ne s’occupaient pas de lui, des autres religieux qui ne comprenaient pas son message, des dévots qui lui tournaient le dos.

WP_20160223_13_44_22_ProToutes choses aisément compréhensibles quand on est invité à marcher à sa suite. Dimanche soir, dans un geste éminemment christique, j’ai passé une demi-heure la tête sous mon pull – je fais parfois des trucs bizarres quand j’ai une crise d’angoisse mais enfin là, c’était une première – crise d’angoisse qui s’est déclenchée après que personne ne se soit pointé à mon étude biblique et que mon chef m’ait annoncé que je devais faire un enterrement toute seule car il partait faire du golf en Floride (1). Il y a des jours comme ça où quand je rentre de l’église j’ai juste envie de mourir, mais la bonne nouvelle c’est que le lendemain, ça va mieux. Tous les mardis, au parc, à Street Church je me rappelle qu’au fond, l’essentiel – dans le ministère comme dans la vie – ce n’est pas tant ce qu’on fait ou ce qu’on ne fait pas, ce que les gens pensent de nous, si on est doués, si on a du succès. Beaux riches pauvres heureux malheureux paumés drogués mamie. L’essentiel c’est d’être là, d’être avec lui, d’être lui. De voir le monde en lui, de voir le monde en nous. De voir la vie avec ses yeux, infinie et précieuse. Et un peu folle, aussi.

Que voulez-vous, Dieu est un vagabond. Il ne faut pas s’étonner, non plus.

+++

WP_20160308_11_39_07_Pro I sometimes happen to find prayer at Street Church a little messy
Il m’arrive de trouver la prière à Street Church un peu désorganisée
Isn’t it safer to pray at home
Est-ce que ce n’est pas plus sûr de prier à la maison
or in the pews
ou assis dans une église
where quiet and comfort help us to
où le calme et le confort nous aident à
connect with the divine?
nous connecter avec Dieu ?

People interrupting or just
Les gens qui m’interrompent ou seulement qui
talking in the back
parlent derrière mon dos
or moving things around
qui font du remue-ménage
Friends, volunteers, friends of friends,
Amis, bénévoles, amis d’amis
City workers, taxi drivers
Les gens qui travaillent, les conducteurs de taxi
tend to make me lose my focus.
ont tendance à me déconcentrer.

At Street Church, you never know what’s going to happen next, right?
À Street Church, on ne sait jamais ce qui va se passer, pas vrai ?

And yet,
Et pourtant,
I wonder.
Je me demande.
What does it mean to pray for the world
Qu’est-ce que cela veut dire de prier pour le monde
in retiring from the world?
en se retirant du monde ?
What does it mean to pray for the poor
Qu’est-ce que cela veut dire de prier pour les pauvres
Hiding from them?
En se cachant d’eux ?

How can I ask God to be in painful, scary or just unsettling situations,
Comment puis-je demander à Dieu d’intervenir dans des situations douloureuses, effrayantes ou tout bonnement dérangeantes
if I am not ready to be in them too?
si je refuse d’en faire partie ?

I happen to think that God enjoy my willingness
Il m’arrice de penser que Dieu apprécie le fait que je sois prête
to share the messiness around
à participer à tout ce désordre
Enjoy me using religion as a spear to fight
Qu’il apprécie que j’utiise ma religion comme une épée pour combattre
not as a shield to protect me
et non comme un bouclier pour me protéger.

WP_20160308_11_40_06_ProThe question is
La question est
How can I let God be and let God do
Comemnt puis-je laisser Dieu être Dieu et agir en tant que Dieu
in the rumble of the city?
dans le brouhaha de la ville ?
How can I be
Comment puis-je être
this quiet non anxious presence
cette présence calme et rassurante
in the midst of so much pain and so much need?
au milieu de tant de douleur et de tant de besoin?

How can we offer to God
Comment pouvons-nous offrir à Dieu
a worship of peace and beauty
une adoration paisible et belle
in the midst of empty plastic bottles laid on the ground
au milieu de bouteilles en plastiques vides éparpillées sur le sol
Social services dirty blankets
Les couvertures sales des services sociaux
Horns honking, phones ringing, hearts pounding.
Voitures qui kalxonnent, téléphonent qui sonnent, battements de cœurs qui résonnent.

But maybe we are God’s beauty
Mais peut-être que nous sommes la beauté de Dieu
Maybe we’re all God peace
Peut-être que nous sommes tous la paix de Dieu
Together in worship
Ensemble en adoration
Holding hands
Mains jointes les uns avec les autres
God sends his pigeons in the park
Dieu envoie ses pigeons dans le parc
God sends angels on the streets too
Dieu envoie des anges dans les rues, aussi.

WP_20160308_11_39_39_Pro(1) Eh oui, je vis dans un pays où les prêtres font du golf, je ne sais pas si je dois trouver ça inquiétant ou rassurant. Ce qui est sûr c’est qu’en attendant, je dois assurer l’interim.
(2) Les peintures ont été réalisés par des SDF de notre communauté. Pretty amazing, je dirais.
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A Midwinter Night’s Dream

Aux États-Unis, la Saint Valentin, c’est très démocratique – voire très commercial – ce qui, au pays du libéralisme débridé, revient à peu près au même, vous me direz. Vous le saviez déjà, bien sûr. Vous êtes comme moi. Vous avez vu plein de séries télé où les enfants écrivent des cartes à tout le monde, où les ados s’offrent des peluches géantes, où les parents invitent toute la famille au resto pour l’occasion. Ce qui est bizarre quand on vit ici, c’est que d’une certaine façon, on s’attend toujours un peu à être recadrés, à découvrir la vraie vie en se rendant compte que finalement nos clichés ne sont que des clichés, alors que ce qui se passe en général, c’est plutôt l’inverse. Tout ce que vous croyez savoir en sachant que sans doute ce n’est pas comme ça mais un peu exagéré parce que c’est des films ou des séries télé, vous vous rendez compte au final à quel point c’est vrai : Les flics – qui font vraiment peur avec des voitures de flic – qui font vraiment, vraiment du bruit. Les chants de Noël – non ce n’est pas la bande son débile du film qui veut ça, du 15 Novembre au 25 décembre vous entendez des chants de Noël dans tous les magasins, que vous alliez acheter de la Vitamine C ou une tondeuse à gazon (En l’occurrence, plutôt une pelle à neige cela dit).

Aux États-Unis, vous pouvez avoir plusieurs Valentins sans aucune atteinte à la moralité. Un principe plus facile à se rappeler avec son chat qu'avec son chef.

Aux États-Unis, vous pouvez avoir plusieurs Valentins sans aucune atteinte à la moralité. Un principe plus facile à se rappeler avec son chat qu’avec son chef.

Eh bien, de la même façon, pour la Saint Valentin, tout le monde se souhaite la Saint Valentin. Comme dans les films. Et vous avez beau être prévenue, quand vous arrivez au boulot le Dimanche matin rise and shine à 7h 30 et que votre chef vous souhaite « Une bonne Saint Valentin », aussi majeure et vaccinée que vous soyez concernant la civilisation américaine, vous avez quand même une seconde d’hésitation – voire de panique – dans votre cerveau droit avant de répondre : « Merci, bonne Saint Valentin à vous aussi », votre cerveau gauche ayant volé à la rescousse vous rappelant en une fraction de seconde ce fameux épisode de « Sauvés par le Gong » ou des « Années coup de cœur » où à l’église et à l’école, tout le monde s’offre des ballons et des gâteaux en forme de cœur (les ballons et les gâteaux) sans qu’il n’y ait aucune atteinte à la moralité aucune – voire même c’est plutôt bien vu. Mais quand même, moi le 14 février, j’ai eu un peu chaud – et Xavier m’a avoué que ça lui a fait le coup aussi avec une paroissienne. Il lui a fallu un quart de seconde pour réaliser que son « Joyeuse Saint Valentin » c’était parfaitement innocent – bien que j’ai toujours des questions sur l’innocence de mes paroissiennes de plus de 65 ans dès qu’elle s’approchent de Xavier qu’elles jugent unanimement et inévitablement cute, surtout quand il enfile son costume de petit chanteur à la croix de bois pour participer à la chorale – mais bon, je leur accorde le bénéfice du doute. Il faut dire que cette année à l’église, tout le monde était un peu perturbé, puisque non seulement la Saint Valentin tombait un dimanche, mais en plus le premier dimanche du Carême – comme l’a finement observé mon chef : On ne sait pas si on doit s’abstenir de manger des bonbons, ou si on doit offrir des chocolats. Mais comme vous pouvez aussi l’imaginer, entre la fête populaire et l’ascétisme religieux, le dilemme n’a pas été bien long. Pour votre information, j’ai pris en photo le gâteau rose qu’on nous a servi à la pause café car je pense quand même qu’il valait des points :

WP_20160214_11_42_07_ProAlors ne me demandez pas la recette, je n’en ai aucune idée, mais une chose est sure : c’est bon – car si j’ai tout disposé pour faire une photo à la base, au final j’ai tout mangé bien sûr. Je m’abstiens encore des gâteaux verts de la Saint Patrick car pour une raison ou une autre, quelque part entre mon cerveau droit et mon cerveau gauche, je juge encore qu’un gâteau vert c’est plus nocif qu’un gâteau rose, mais voilà où j’en suis. Quand je pense que je n’avais même pas droit à une cuillère de Nutella dans mon enfance, la vie a le don de vous rattraper et de faire valoir ses droits.

Alors oui – oubliant du même coup les leçons de ma mère sur les ravages de la malbouffe et les instructions de ma Sainte Mère (l’église) sur le jeûne et le Carême, j’ai cédé à la magie de la Saint Valentin, et surtout à sa commercialisation afférente et déférente, et je vous présente mon nouveau compagnon :

smallDSCF9809Bien sûr comme ça, ça un écureuil qui tient un cœur, ça l’air un peu ridicule, mais au final, quand vous vivez au pays depuis presque cinq ans, une peluche pour la Saint Valentin, c’est quasiment normal et c’est presque le minimum requis. Celui-là ayant en plus l’avantage de vous informer d’un idiotisme, donc c’est culturel. Nuts en anglais c’est un suffixe qui désigne toute sortes de noix : pea-nuts (cacahouètes) wal-nuts (noix) chest-nuts (châtaignes) hazel-nuts (noisettes), toutes choses dont les petits rongeurs des jardins sont friands au cas où vous auriez loupés mes 47 articles 1/2 sur la question. Mais aussi bien sûr, to be nuts, ça veut dire être un peu barjot, en français on dirait « avoir un grain ». Une référence sans doute à quelque chose qui doit se balader entre vos deux hémisphères, et qui fait que tout ne fonctionne pas toujours correctement, une référence en tous cas assez solide à l’état amoureux.

Pour en savoir plus, nous nous sommes rendus au théâtre pour voir Le songe d’une nuit d’été, et Shakespeare semble confirmer la chose : l’amour, ce n’est pas très sérieux. Ce qui prouve les limites du raisonnement à la française : demandez à un français pourquoi il ne fête pas la Saint Valentin, il vous répondra « Parce que c’est une fête débile  » – ce qui, mes amis, est l’exacte raison pour laquelle les anglo-saxons célèbrent la chose. La Saint Valentin est une fête idiote car l’amour, c’est idiot. Figurez-vous. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Shakespeare qui, sous l’effet de quelques gouttes de poudre de perlinpin dans les yeux, fait s’aimer d’amour la reine des fées et l’idiot du village transformé en âne pour l’occasion – au cas où le message n’était pas bien clair, ils devaient être longs à la comprenade à l’époque aussi. Mais d’après le poète, en admettant que j’interprète correctement : Si l’amour est bête, contre toute logique cartésienne à la française, ce n’est pas une tare. C’est justement parce que l’amour est magique qu’il n’est pas logique. Ou intelligent. Et non, ce n’est pas grave de ne pas être malin, du moment qu’on est heureux.

Forts de cette nouvelle conviction, Xavier et moi avons embarqués – littéralement embarqués – pour la plus grande aventure romanesque de la capitale du monde libre et commercial : La croisière « Odyssée » qui comme son nom ne l’indique pas, loin de vous mener au bout du monde, vous fait descendre et remonter le Potomac au milieu des monuments illuminés – Le National Monument, le Lincoln et le Jefferson Memorial, le Kennedy Center – Ce qui au final n’est pas si mal. Pas de cyclope ou de sirène, rassurant, c’était plutôt ambiance Titanic : tout luxe à l’intérieur et moins dix sur le pont, mais pas de naufrage à la fin, et un petit orchestre qui joue du Sade remplace les violons. Roses, champagne à volonté et devinez quoi, gâteau en forme de cœur pour finir la soirée.

smallDSCF9733 Alors je sais bien ce qu’on va me dire – quand on s’aime pas besoin de se le prouver. Je vais vous dire – forte de mon expérience de près de dix ans – l’amour, ça va sans dire, bien sûr, mais enfin, après avoir beaucoup réfléchi je me suis rendue compte que l’amour, ça va beaucoup mieux en se le disant. Et que se sentir unique et exceptionnel, loin d’être un luxe, c’est un besoin basique de l’être humain. Bon, en tous cas moi j’étais comme une reine pendant deux heures et demi. On est comme ça, nous les femmes. Et les hommes. On a besoin de se savoir aimés.

Alors qu’est-ce que l’église avait à nous dire en ce premier dimanche de Carême / Saint Valentin ? Eh bien à peu près la même chose, figurez-vous.

Avec un texte un peu inattendu dans ce contexte : les tentations de Jésus au désert. Pourtant, Jésus qui est tenté au désert ce n’est pas une question de savoir s’il va être assez fort pour résister ou pas. S’il va craquer sur le bout de pain ou le gâteau rose. (Bon, fin du suspense, Jésus ne craque pas). La question qui se pose, pour lui et pour chacun d’entre nous, c’est de savoir si on croit qu’on est abandonnés tout seul dans cette vie ou si on a la certitude d’être aimés, compris, accueillis, non pas pour des raisons logiques ou intelligentes, parce qu’on est beaux, bons ou aimables, mais juste parce que c’est Dieu qui en a décidé ainsi.

Un raisonnement ou plutôt un non-raisonnement poussé à l’extrême dans le cas du Pasteur Gerecke sur l’histoire duquel j’ai bâti mon homélie. le Pasteur Gerecke, c’est un aumônier américain qui a passé des mois au côté des nazis pendant les procès de Nuremberg, pour leur témoigner que, si aux yeux du monde ils étaient des monstres, aux yeux de Dieu, ils n’étaient pas encore foutus. Que s’ils le voulaient, ils pouvaient encore devenir des enfants bien-aimés. Un raisonnement ou un non-raisonnement dur à avaler, que peu de gens, y compris les gens qui ont la foi, ont du mal à partager. Le bouquin qui raconte l’histoire de Gerecke, je me le suis enfilé en deux jours, estomaquée. Comme je le dis eu début de mon sermon, je ne savais pas qu’il y avait un aumônier pour les nazis. Je savais encore moins qu’il y avait un Dieu pour les nazis. À Nuremberg pourtant, ils sont nombreux à s’être convertis. On n’y croit ou on n’y croit pas bien sûr, mais enfin, ils n’avaient rien à perdre, et rien à gagner non plus. Ils étaient condamnés d’avance de toutes façons. Au fil de ma lecture, incrédule moi aussi, je me suis demandée : Alors c’est ça ce que ça veut dire, que Dieu nous trouve dans le désert, que Dieu est miséricordieux, qu’il nous aime. Ça ne veut pas dire qu’il nous trouve sympa ou qu’il va être gentil avec nous. Ça veut dire qu’il nous sauve littéralement de la mort éternelle, de l’extinction du cœur, du cauchemar que peuvent devenir nos vies. Que Dieu aime les criminels, que Dieu soit prêt à pardonner aux nazis, c’est là que la question théologico-shakespearienne se pose : Est-ce que Dieu est tombé sur la tête, est-ce qu’il a de la poudre de perlinpin dans les yeux ? Cela serait vrai, bien sûr, si on ne croyait pas en un dieu crucifié qui a littéralement porté, c’est-à-dire vécu dans sa chair, toute la souffrance du monde. Un Dieu dont nous sommes pourtant, tous, les bien-aimés.

Enfin bref, si vous voulez en savoir plus, vous pouvez télécharger mon sermon. Je vous mets prime celui d’il y a quinze jours – que je n’ai pas pu prêcher pour cause de canalisations gelées à l’église (Pas de WC, pas de messe aux États-Unis…conceptuel, je sais!)

Sermon 0214

Sermon 0131

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Downtown girls

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Comme vous l’avez sans doute compris, les journées sont parfois longues dans les banlieues chics de Washington. Du coup, le Carême est la saison idéale pour s’encanailler un peu et aller faire un tour downtown pour administrer la bonne parole et les sacrements aux employés fédéraux, juristes, lobbyistes et autres sbires gouvernementaux stressés, sans compter les innombrables employés de Starbucks, vendeurs de journaux et livreurs de pizzas qui font vivre tout ce petit monde. Plutôt que d’embêter les gens à aller à l’église – de toutes façons ils n’ont pas le temps – on vient à leur rencontre là où ils sont, dans la rue, à la sortie des stations de métro. Il suffisait d’y penser. Cela s’appelle Ashes to go.

Pour le premier jour du Carême, le clergé est sur le trottoir – pour la bonne cause, rassurez-vous. Pour offrir un bref instant de prière, une bénédiction et bien sûr imposer les cendres – puisque  c’est le fameux « Mercredi des Cendres ». Les cendres, un signe de deuil et de repentir dans l’Ancien Testament, un signe d’espérance aussi, de re-création et de renouvèlement. Et donc, à l’américaine, on fait un signe de croix sur le front des gens, on leur dit « Poussière tu es poussière et tu retourneras à la poussière », là dessus on leur souhaite une « merveilleuse journée » et les gens sont contents et vous trouvent awesome. C’est fou comme une petite prière peut vous transformer votre journée. Un sourire, un bonjour, quelqu’un qui vous prend par le bras, écoute pour une demi-minute ce que vous lui murmurez à l’oreille, vous souhaite de bonnes choses pour vous et votre famille. On devrait tous essayer.

Il faut dire qu’Elizabeth et Catriona, mes amies du centre-ville, elles ont mis le paquet. Comme vous pourrez le voir dans la vidéo ci-dessous, elles sont carrément super professionnelles, vêtues de pied « en cape » dans leur vêtements liturgiques. Moi, quand il fait -10 et que je passe une heure et demi dehors en plein vent, je mets une doudoune et ma capuche – même pour parler de Jésus. L’habit ne fait pas le moine me direz-vous, mais là j’ai quand même l’air d’avoir fait sécher les cours pour venir m’amuser avec mes copines – ce qui est un peu le cas, si on y réfléchit.

Une chose est sure : J’ai vraiment eu bien fait de faire cette manucure. Non seulement le violet, c’est la couleur de ma voiture, mais c’est aussi la couleur liturgique de cette belle – quoi qu’un peu froide – saison.

https://www.facebook.com/SojournersMagazine/videos/10153466369602794/

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Payez pour nous

À l’époque où j’étais secrétaire, j’avais un patron, Denis T., qui avait l’habitude de dire : « Payez cher, vous pleurerez une fois, payez moins cher vous pleurerez tous les jours ». Une devise efficace qui marquait les esprits, ou qui en tous cas a marqué le mien, car bien entendu la devise ne s’appliquait qu’à ses clients. « Payez cher, vous pleurerez une fois, payez moins cher vous pleurerez tous les jours » sous-entendu « Oui, nous sommes plus chers que nos concurrents, mais nos produits vous rendront heureux jusqu’à la fin de vos jours si vous êtes assez malins pour vous en rendre compte » (1), une devise qui ne s’appliquait en aucun cas à lui-même, mon patron étant introuvable chaque fois qu’il avait une facture à payer, ou plutôt, seulement trouvable sur les courts de tennis de Meylan ou au trophée Andros de Villard-de-Lans mais jamais à son bureau, le chéquier à portée de mains. J’en ai passé des heures au téléphone avec Gonzalés plombier de père en fils au bord de la faillite pour un impayé de 10.000 euros qui représentait pour lui deux mois de travail car il avait tout laissé tomber pour le chantier de mon chef, autant de factures de fournisseurs à payer et de salaires pour lui et son fils, lui-même père de cinq enfants, des problèmes difficiles à comprendre pour mon patron qui « captait mal » au propre comme au figuré, parce que forcément en haut de pistes à Meribel, la réception téléphonique est ce qu’elle est – ce n’était pas de sa faute non plus. Je vous rassure tout de suite, mon intégrité morale étant déjà ce qu’elle est, c’est-à-dire celle d’un futur pasteur, je n’étais pas du tout solidaire :

Moi : Alors il me dit de vous dire qu’il a envoyé le chèque aujourd’hui
Gonzalés : Mais il l’a envoyé ? Il m’a dit la même chose le mois dernier
Moi : Oui, je sais. Il a dit ça à tout le monde.
Gonzalès : Ça ne vous écœure pas de travailler pour quelqu’un comme ça?
Moi: Si, complètement, je suis désolée.
Gonzalès : Vous pensez qu’il va vous payer ce mois-ci ?
Moi: Aucune idée. De toutes façons, j’envisage de démissionner
Gonzalès: Ah ben au moins ça me remonte le moral de discuter avec vous.

Enfin – toujours est-il que j’ai fini par démissionner et que j’ai un meilleur patron aujourd’hui, je ne parle pas de mon grand patron qui a payé une fois pour toutes tous nos impayés sur la croix, mais même mon petit patron que j’aime bien, bien que j’ai toujours une réserve toute franchouillarde à marquer le moindre enthousiasme pour mon boulot – je ne le fais pas exprès, je pense que c’est génétique, on a tous du sang de syndicaliste dans les veines. Aux États-Unis, ils ne comprennent pas, bien évidemment. Ce week-end j’ai rencontré un paroissien pour la première fois à un enterrement, qui, après s’être confondu en excuses de n’être pas venu à la messe depuis six mois parce qu’il était « occupé » (C’est toujours drôle quand les gens font ça alors qu’on ne leur demande rien) m’a demandé si le Rev. Pasteur, je l’aimais bien, j’ai répondu sans même avoir le temps d’y réfléchir : « Yes…I like him, I mean…What can I say? He’s my boss, right? » et j’ai rigolé alors que le paroissien, il ne rigolait pas du tout. Une fois déjà j’ai failli faire pleurer mon chef à une réunion, quand on m’a demandé où je bossais et j’ai répondu « St D. » apparemment dans un soupir. Il faudra que je lui explique un jour à mon chef, que ce n’est pas du tout personnel, c’est business (2), en France on est comme ça, ce n’est pas socialement acceptable d’aimer son patron  et vous ne pouvez absolument pas trouver votre boulot awesome si vous ne voulez pas vous faire casser la figure à la machine à café. Et puis j’ai eu des expériences de travail traumatisantes, comme vous pouvez vous en rendre compte.

Quoiqu’il en soit, j’ai eu tout le loisir de penser à mon ex-chef et à sa devise ce samedi, alors que nous patientons chez le concessionnaire pendant que les grands banquiers – ou plus vraisemblablement un quelconque logiciel, « une merde infâme sous Windows » selon l’expression consacrée de ma moité – calculait quel meilleur pourcentage ils pouvaient nous offrir pour une « Dodge Dart » gris non-métallisé, un petit bijou de non-technologie comparé à ma Lexus, il n’y a même pas les sièges chauffants (pourtant un must de la non-écologie à l’américaine), mais enfin la Dodge Dart c’est une voiture qui ressemble à une voiture, qui roule, qui ne tombe pas en panne et qui peut conduire mon petit mari au travail, à l’église, à l’épicerie du coin, dans les grands magasins et surtout chez IKEA (les sièges arrières sont rabattables) bref, dans tous les endroits indispensables où il a besoin d’aller – ou disons : dans tous les endroits indispensables où quelqu’un de proche a besoin qu’il aille. L’indépendance ça n’a pas de prix, vous comprenez bien.

Que l’indépendance ça n’a pas de prix, c’est ce qu’on a très vite compris quand le « Grand Banquier / logiciel infâme » nous a délivré le verdict d’un taux magique de 7,6 %  pour un prêt qu’on n’avait même pas besoin de faire car on pouvait presque payer la voiture comptant, mais ils ne nous ont pas laissé faire. Pas possible ? Mais si c’est possible, fini le temps de la SNCF et de la carte Kiwi où vous payiez moitié prix, aux États-Unis vous payez tout le double du prix. Car ce que nous avons compris, alors que nous nous apprêtions naïvement à faire un dépôt de $12.000 pour une voiture annoncée à $14.700, c’est que ce n’est pas l’intérêt (dans tous les sens du terme) de la banque que vous n’achetiez pas à crédit – puisque c’est sur le crédit qu’ils se font de l’argent – 7,6% pensez-bien – et, le pire, c’est que le taux élevé ils mettent ça sur le compte du fait que vous êtes nouvellement résidents dans le pays, pour ne pas dire immigrés, et que du coup on ne sait pas si on peut vous faire confiance, alors que moi, je ne sais pas, si je ne fais pas confiance à quelqu’un je lui demande le plus gros acompte possible et je ne lui prête que le minimum. Du coup, quand le financier / le monsieur qui appuie sur la touche entrée du logiciel infâme nous a tendu un stylo pour nous faire signer un chèque de $10.ooo assorti d’un prêt de $211 par mois pendant 60 mois car, après les taxes, l’immatriculation, les frais de dossier et les assurances « constructeur et maintenance obligatoires », et surtout le cout du crédit inclus, le prix de la Dart était monté à $21.000 tout pas rond (mais j’essaie d’oublier le prix exact), le financier, en bon américain, donc, nous demande « Si nous sommes excités » et là franchement, j’ai failli répondre que loin d’être excitée, j’étais carrément au bord des larmes de m’être fait entuber de façon aussi magistrale – le seul réconfort, voyez ce que sont les choses comme quoi on ne sait jamais de quel côté vient notre rédemption, mon seul réconfort, la devise de mon ancien patron Denis T, qui m’est revenue à l’esprit: « Payez cher, vous pleurez une fois, payez moins cher vous pleurez tous les jours ». J’espère qu’il a raison. Car non seulement avec la Buick on a payé un peu cher à la base, mais enfin pendant deux ans on a pleuré environ tous les deux mois : après la clé qui reste systématiquement coincée dans le démarreur (j’ai trouvé un truc sur Internet pour dépanner dont je suis assez fière, mais enfin il faut y aller au tournevis sous le volant, ce qui n’est pas extrêmement simple quand vous conduisez tous les jours), le rétroviseur arrière pété, la fenêtre passager bloquée, la fuite d’huile, le rappel de sécurité que j’ai mentionné dans un article précédant, on a eu le coup de grâce il y a quelques semaines quand le garagiste nous a annoncé que le liquide de refroidissement fuyait dans le réservoir d’huile (qui lui-même fuit, si vous avez bien suivi). Donc on s’est dit : On va arrêter de pleurer tous les jours, juste pleurer un bon coup.

Ce qui ne s’avère pas tout à fait vrai parce qu’à $211 par mois, on va quand même pleurer un peu pendant 5 ans.  Mais enfin, c’est quand même joli, je vous laisse regarder :

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Xavier, s’avérant que sa voiture était immatriculé « VHB » – Very High Belanger – s’est même empressé d’y accoler le fameux magnet « St D » sur son pare-choc – magnet qui, non-fierté française syndicaliste post-traumatique oblige, n’a jamais trouvé le chemin de ma nouvelle voiture. J’ai pris une photo pour me moquer de lui, alors qu’on jouait à « Mr and Mrs Smith » en revenant de l’église (Enfin, je joue à Mrs Smith : Je cherche tous les combines pour le doubler et le semer, et au final on arrive toujours au même moment alors qu’il se contentait de rouler pépère ou du moins c’est ce qu’il prétend) :

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Me moquer doublement car la voiture est rouge et grise, comme son blouson, et c’était une occasion de me venger après qu’il ait remarqué que lors de ma dernière (et en fait première, mais je me fais aux usages du pays(3)) manucure, j’ai choisi un vernis à ongles complètement cordonné à ma Lexus bien-aimée – le pire c’est que je n’ai pas fait exprès, je m’en suis rendue compte en attrapant mes clés en sortant du salon, j’étais rouge de honte.

Voyez plutôt :

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Mais bon, voyez ce que sont les choses, je voulais vous faire un article de fond sur des sujets économico-politiques et me voilà lancée dans préoccupations girly, revenons à nos moutons. Les États-Unis, donc, c’est vraiment un système qui marche à l’envers, c’est ce que je voulais vous dire. Car un des autres avantage de pleurer un bon coup  y compris pendant cinq ans – c’est que le crédit ici, c’est une telle religion que plus vous avez de crédits en cours – NE RIEZ PAS – plus vous avez de crédits en cours, plus on vous fait CONFIANCE, et moins vous payez cher pour votre crédit. C’est de la folie ? Non. Oui. Oui, carrément. Le plus riche pays du monde vit à crédit, avec de l’argent qui n’existe pas – et ce n’est pas l’exception, c’est la règle. Même si vous pouvez faire autrement et payer avec du vrai bon argent du bon Dieu (enfin, j’exagère un peu, disons payer avec les honnêtes sous de l’héritage de Grand-Maman) et bien les banquiers ça ne les intéresse pas. À l’école on appelait ça : « Un colosse aux pieds d’argile », mais enfin, à l’époque on parlait de l’Union Soviétique. Pas très rassurant. Flippant. Et carrément déprimant, si, depuis que vous étiez un enfant de chœur (Secrétaire de Denis T.), vous aviez déjà un cœur de pasteur.

Car j’ai appris autre chose cette semaine sur le système américain quand Terrence, vagabond auto-proclamé mendiant professionnel, est venu frapper cette semaine à la porte de mon bureau

« Je vais vous dire très franchement, Madame la rectrice (une usurpation d’identité hiérarchique qui n’a pas déplu à ma fibre socialisante), je vais vous dire très franchement, m’a dit Terrence en s’asseyant à mon bureau, je fais le tour des églises pour trouver de quoi payer mon loyer. Je suis mécano mais maintenant j’ai 55 ans, je suis criblé d’arthrite, je ne peux plus travailler, qu’est-ce que je peux faire, j’attends mon statut d’handicapé depuis des mois pour avoir des aides, je vis dans un mobile home, ils menacent de me le reprendre et de me mettre à la rue. »
C’est là que je lui propose d’appeler les services sociaux, ça tombe bien, j’ai le numéro d’urgence dans mon bureau que je n’ai encore jamais eu l’occasion d’utiliser.
Lui : « Ils ne vont pas m’aider »
Moi: « Bien sûr qu’ils vont vous aider »
Lui : « Il n’y a pas d’aide au logement si vous ne travaillez pas »
Moi: « Ça servirait à quoi des aides au logements sinon pour aider les gens qui ne peuvent pas payer ? »
Lui (résigné): « Ben allez-y appelez-les si vous voulez »
(Une demi-heure après)
Moi (indignée) : « Alors c’est vrai, ils n’aident pas les gens qui sont au chômage, comment c’est possible ? »
Lui : « Vous ne pouvez pas comprendre, vous venez d’un pays socialiste… »

Je suis socialiste, c’est vrai. Avant d’immigrer, je pensais juste que j’étais normale mais donc aux états-Unis, on prête aux pauvres –  mais pas trop. Uniquement les banquiers, ou les logiciels infâmes qui tournent sous Windows, mais pas les services sociaux, les structures qui sont censées faire qu’on vit dans un monde plus juste, où chacun à sa chance, quelque soit son sort ou son état de santé. Eh bien ici, si vous travaillez ça va, mais si vous ne travaillez pas, eh ben qu’est-ce que vous voulez, débrouillez-vous, on ne va pas non plus vous aider à payer votre loyer non plus.

Qu’est-ce que j’ai fait ? Ben écœurée, révoltée pour lui et mortifiée par ma propre naïveté,  je lui ai fait un chèque bien entendu. Les « pauvres de Monsieur le curé » ce n’est pas une expression, les prêtres ont en effet un compte en banque réservé pour utiliser « à des œuvres de leur choix » – mais croyez-le ou non dans l’église il y a de gros débats sur le fait de donner de l’argent aux sans-domiciles. C’est la raison pour laquelle j’ai le numéro des services sociaux dans mon bureau, car comme le dit mon chef – que j’aime bien mais pas trop – qui relaie l’information:  « Donner de l’argent aux SDF, ça ne règle pas le problème ». Certes. Je connais les arguments. Vous donnez de l’argent aux SDF et ils s’en servent pour acheter de l’alcool, ou ils travaillent pour un genre de mafia, ou ils s’enfoncent dans la drogue. Si un SDF vient vous voir, référez-le à la ville où il pourra bénéficier d’un prise en charge complète – une prise en charge complète, en effet, comme je viens tout juste de m’en rendre compte. Donner de l’argent aux SDF ça ne règle pas le problème, certes, mais enfin, ne pas donner d’argent, ça ne règle pas le problème non plus, et remplacez « SDF » par « pauvres », ne pas donner d’argent aux pauvres, même pour la bonne raison que ce n’est pas bon pour eux, quand on fait le métier que je fais, ça me pose quelques problèmes aussi. Juste de penser que Dieu me fait confiance tous les dimanches avec son Fils unique au moment de l’Eucharistie, je me dis, je peux bien faire confiance à un sans-domicile avec quelques dollars. Et puis, même sans la prêtrise, il me suffit de me regarder, un cœur (de pasteur), de l’air dans mes poumons, des idées dans ma tête et au bout de mes doigts quand j’écris un article, de la nourriture dans mon estomac – moi aussi je vis à crédit, tous les jours, à chaque instant, d’un patron qui n’a pas crée le monde en appuyant sur une touche entrée d’un clavier, mais qui me laisse vivre de sa vie à chaque instant. Priez pour les autres, c’est bien mais enfin – payer pour eux ça peut aider, aussi. Comme l’a écrit Saint Jacques : Si un frère ou une sœur sont dans la nudité et n’ont pas ce qui leur est nécessaire chaque jour de nourriture, et que l’un de vous leur dise: « Allez en paix, chauffez-vous et vous rassasiez  » sans leur donner et qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ?

Mais que voulez-vous, tout le monde n’a pas la chance d’être un curé communiste. Merci Denis, pour ces années de formation à tes côtés.

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Du coup, toute cette aventure, ça nous a inspiré des idées d’autocollant…

(1) Sachant que le produit en question était de l’eau minérale, ce n’était quand même que très moyennement crédible.
(2) Si je peux citer « Le parrain » sans avoir l’air, c’est uniquement car il est cité dans « Vous avez un message »Avec Meg Ryan. Sinon, aucune idée.
(3) Il y a des boutiques à ongles à touts les coins de rue Au début, je trouvais ça ridicule, au bout de cinq ans, j’ai réalisé qu’il manquait quelque chose dans ma vie. Il ne me reste plus qu’à me laisser pousser les ongles.
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Guide de survie en milieu chrétien

100_5273_smallEt donc on a eu comme qui dirait un petit incident climatique – en témoigne la photo ci-contre. Non, nous ne sommes pas en haute montagne, juste devant le Mac Do du coin, que vous pouvez entrapercevoir derrière mon épaule droite (l’eskimo, c’est moi). C’est pas qu’on soit des fans de Mac Do mais on s’est dit, si on prend l’enseigne, ça se verra que c’est réalisé sans trucage – pas en haute montagne, mais sur le parking du supermarché à côté de chez nous.

On a eu un petit incident climatique, donc, mais de façon surprenante, après presque cinq ans passés aux États-Unis, un tremblement de terre, trois ouragans, une tornade, un nombre incalculable de tempêtes tropicales et un certain nombre de tempêtes de neige et de grandes gelées (c’est l’avantage de vivre à la limite entre le Sud et le Nord, question climat vous avez un peu de tout), bref, après tout ça, je ne suis plus en mode panique, je suis en mode pratique. En cinq ans, j’ai appris à m’organiser.

Alors comment se préparer en cas d’incident climatique incontrôlé ? Bien sûr, cela diffère un peu selon la saison, mais enfin, la « To do list » (liste des choses à faire) reste à peu près la même dans tous les cas. Je vous confie mes trucs de bonne femme version « pionnière d’Amérique » :

  • Parce que c’est la Virginie et que le réseau électrique est ce qu’il est – pourri  – la première chose bien sûr c’est d’avoir des lampes de poche à portée de main et des piles. La veille, vous rechargez téléphones portables, PC et mp3 (ils font radio d’urgence) et vous faites tourner vos lessives. Sortez de l’argent liquide (Les distributeurs automatiques – ATM – tombent eux aussi en panne de courant…)
  • Comme vous ne pouvez pas sortir de chez vous pendant trois jours, vérifiez le niveau de PQ, kleenex, sacs poubelles, votre trousse de premier soins et vos médicaments.
  • La légende veut que lorsque vous faites vos courses, vous devez faire des stocks de lait, d’œufs et de pain. Ce qui est un peu débile car évidemment vous aurez besoin des mêmes choses que d’habitude. Ce n’est pas la tempête qui va vous empêcher de cuisiner (Bon vous aurez peut-être un  peu la flemme) et ce n’est pas comme si vous alliez devoir attendre les secours pendant deux semaines. Mais enfin, les mythes ont la vie dure et comme je m’apprêtais à faire les courses (36 heures avant ledit événement, ce qui était déjà trop tard) je me suis retrouvée avec un pain de mie de mauvaise qualité à la place de mon multi-grain et j’ai dû aller déballer les oeufs au fond  d’un carton. Mais enfin, je l’ai fait de bon cœur. Que voulez-vous, la pression sociale « pain/lait/œufs » est tellement énorme qu’il faut bien s’y coller. Par exemple, je ne bois jamais de lait, mais je me suis quand même sentie obligée d’en acheter (au cas où). Vérification faite avec ma collègue Barbara, elle ne boit jamais de lait non plus mais elle en a quand même acheté (au cas où). La vérité, c’est qu’il vous faut des trucs de base bien sûr, mais enfin ce qu’il vous faut c’est vos trucs de base : Vin rouge, chocolat aux noisettes et salade fraîche (Je n’ai pas touché au lait, au final).
  • Faites le plein d’essence. Ça ne sert à rien puisque vous allez rester chez vous, mais comme tout le monde s’affole et fait le plein d’essence, si vous ne faites pas vous aussi le plein d’essence, vous n’aurez plus d’essence. Ou vous culpabiliserez. De toutes façons, ça coûte $25 de faire le plein alors ça n’a pas d’importance.
  • Remplissez la baignoire d’eau si c’est un ouragan (risque de coupure d’eau) si c’est de la neige, achetez une pelle et du sel au « Home Depot » le Casto américain.
  • Imprimez la liste des numéros d’urgence.
  • Faites une prière à Jésus au cas où vous auriez oublié quelque chose.

Et donc comme vous le voyez, je suis au point. Tellement au point, et au final tellement occupée deux à trois jours avant l’événement que j’en oublie presque de stresser. Ou plutôt : je stresse, mais je n’angoisse pas – ce qui est une amélioration extrêmement notable de ma condition, vous en conviendrez. D’ailleurs, je me demande un peu si ce n’est pas le but de tout ces préparatifs au final : ça nous rassure car ça nous donne l’impression de maîtriser quelque chose – alors que bien sûr nous ne maîtrisons absolument rien. Une bonne métaphore pour la vie, vous me direz et je ne vous dirais pas le contraire non plus mais de façon surprenante aujourd’hui, je me sens très peu d’humeur à philosopher. Je me propose, au contraire, de rester avec vous dans le domaine du pratique et à répondre à la question qui vous brûle tous les lèvres : Que faire si l’incident climatique se déroule un dimanche et que vous ne pouvez pas sortir de chez vous pour assister à votre Eucharistie hebdomadaire ?

Simple : Faites une Eucharistie chez vous et invitez vos voisins.Ce que je me suis proposée de faire aujourd’hui même.

Alors comment s’y prend t-on pour faire une Eucharistie en plein blizzard, ou plutôt tout juste post-blizzard, mais à la maison et avec ce que vous avez sous la main ? M’étant rendue compte qu’il y a très peu de kits de survie qui vous donneront la réponse, je me suis permise de prendre quelque photos pour vous guider pas à pas.

DSCF96001 – Achetez un petit pain, que vous congèlerez pour le garder tout frais le jour J (Vous ne voulez pas avoir un pain eucharistique qui ait un goût rassi)

DSCF95972 – Si votre mari a eu l’extrême prévenance de vous offrir un calice et une patène pour votre anniversaire, rincez-les à l’eau douce avec un peu de savon liquide (L’éponge Spontex qui récure les casseroles, ça m’a semblé un peu irrespectueux)

DSCF96023 – Trouver un linge d’autel peu s’avérer un peu complexe. Fouillez vos placards pour trouver du propre et du blanc. Un simple rideau peut faire l’affaire. L’autel étant votre table de salle à manger, naturellement. DSCF9599

4 – Ajoutez quelques accessoires pour l’ambiance : orchidée, bougie parfumée, et une croix pour dire que quand même, c’est sérieux aussi.

DSCF96015 –  Vous avez eu bien fait d’acheter vos aliments de base car c’est le moment où le vin rouge entre en action. Un simple Merlot Californien fera l’affaire, celui-ci ayant eu le bon goût de s’appeler « The Path » (Le chemin. « Je suis le chemin, la vérité et la vDSCF9614ie », rappelez-vous).

Si vous n’avez pas de petites flasques, un verre ordinaire fera l’affaire (Deux. Un pour le vin et un pour l’eau, que vous disposerez derrière l’autel (c’est à dire à côté de la machine à café)).

DSCF96086 – Restez simple question vêtements liturgiques. Vous êtes dans votre salon après tout. Oubliez l’aube, la chasuble, et même le col romain, moi je me suis juste habillée en noir rehaussée de cette étole ethnique – Le chic de la clergywoman française (et comme je suis la seule, je peux bien décider de ce qui est classe ou paDSCF9611s).

7 – Envoyez vos invitations au séminaristes du coin par mail, mettez une ou deux pancartes dans le hall de votre immeuble, faites asseoir vos fidèles sur le canapé du salon et vous voilà prête à démarrer…

DSCF9613Bien sûr, il y a quelques impondérables.

En ce qui me concerne, outre le fait que l’expérience m’a rappelé de façon un peu inconfortable l’époque où je disais la messe pour mes poupées, j’ai aussi, de façon totalement inattendue, eu à gérer Tao qui était complètement fasciné par sa première Eucharistie et qui, assis sur le radiateur à côté de la table/autel, ne me quittait pas des yeux. Ce qui n’était pas perturbant en soi vous me direz, c’est juste que ça faisait rire tout le monde, y compris moi – ce qui ne s’est pas forcément arrangé quand il a décidé de sauter dans son arbre à chat juste derrière, arbre à chat qui pour l’occasion faisait étrangement penser à une chaire, ou à un siège épiscopal (« C’est l’évêque ! » s’est exclamé quelqu’un). Mais au final, ça s’est plutôt bien passé. « J’espère que je n’ai pas fait de sacrilège » ai-je confié à Xavier quand tout était terminé – à quoi il a répondu : « Bah non, je pense pas » – genre : « Attends le jugement dernier, tu verras bien s’ils te disent quelque chose » – pas complètement rassurant non plus. Mais enfin, je me dis il vaut mieux célébrer comme on peut plutôt que de ne pas célébrer du tout – ce qui est à mon avis un bon principe pour la vie chrétienne en général : mieux vaut essayer d’aimer et de servir Dieu comme on peut, sachant qu’on se plantera forcément plus ou moins, plutôt que de rester sans rien faire sous prétexte qu’on ne sera jamais parfait de toutes façons. Moi l’aventure m’a bien plue, et je referais bien ça tous les jours, ou au moins tous les dimanches, sachant qu’on était douze, cela me semble un chiffre idéal pour commencer ma propre église. Malheureusement, Tao n’étant pas encore officiellement mon évêque, je ne peux pas faire tout ce qui me passe par la tête non plus…

Alors de quoi a-t-on parlé pendant cette Eucharistie ? Eh bien de « To do lists », absolument. Jésus arrive à la synagogue de Nazareth, déroule le rouleau qui contient les Écrits du prophète Isaïe et annonce à la foule qu’il a été envoyé pour « Proclamer la bonne nouvelle, soigner les malades et libérer les captifs » – sa « to do list » à lui, notre « to do list » à nous  : Apporter au monde un amour qui n’est pas seulement passion, camaraderie ou gentillesse, mais apporter un amour qui donne au monde justice et guérison. Si on se perd souvent au quotidien  dans tout ce qu’on doit préparer, gérer, accomplir, il faut, de temps en temps en revenir à l’essentiel. Les grosses tempêtes nous apprennent ça : pain, lait, œufs, ce genre de choses. Manger et se tenir au chaud. Survivre.

Il y a les basiques du corps, il y a aussi les basiques de l’esprit.

J’en profite pour vous glisser mon sermon de la semaine dernière. Mon sermon sur « Ma sorcière bien aimée » comme l’a intitulé notre organiste. Ça m’a fait un peu honte sur le coup qu’il le résume comme ça, mais je n’y peux rien, Marie à Cana qui dit à Jésus de changer l’eau en vin, ça me fait penser à Andora qui pousse Samantha à utiliser ses pouvoirs magiques. Bien sûr, devenir une sorcière ce n’est pas le message du sermon, mais plutôt : « Si vous avez des pouvoirs, il faut les utiliser »- sachant qu’on a fait du mot « pouvoir » un vilain mot qui signifie trop souvent domination et compétition, alors qu’il s’agit seulement d’être pleinement ce qu’on est. La leçon de l’évangile, et de « Ma sorcière bien aimée », c’est: Utilisez vos dons, même si vous devez vous faire un peu remarquer. Ne vous abstenez pas de faire de la magie pour rester une parfaite maîtresse de maison. Ironiquement (mais je commence à m’habituer à l’ironie divine) je me rends compte qu’aujourd’hui, j’ai fait un peu les deux en même temps.

Sermon 0117

 

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Apocalypse Snow II

Après 36 heures de blizzard, nous nous sommes réveillés ce matin sous un beau soleil et…des tonnes de neige (enfin, entre 50 et 60 cm). Après avoir nourri une horde d’oiseaux et d’écureuils affamés, il ne nous restait plus qu’à dégager les trottoirs et…à retrouver la voiture (1). Les américains ont un verbe pour ça « to shovel » – de « shovel », pelle – ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Cela dit, vu les quantités de neige, un simple seau peut faire l’affaire…

Allez, on est jeunes et vaillants, et c’est tellement beau qu’on ne s’en plaint même pas. J’en profite pour partager avec vous mes meilleurs clichés…(J’aime bien le taxi enseveli, mais j’ai un gros faible pour Xavier en « poilu » dans sa tranchée)

(1) Oui, la dernière photo c’est ma pauvre Lexus !
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Apocalypse Snow

Ça tombe depuis 13 h hier et on n’est encore qu’à mi-tempête !

Jamais vu autant de neige de ma vie…ça me fait tout blizzard…

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A Wing and a Prayer

DSCF9509Lord, it is night.
Seigneur, il fait nuit.

The night is for stillness.100_5135
La nuit est faite pour le silence.

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Let us be still in the presence of God.
Soyons silencieux en présence de Dieu.

 

DSCF9500It is night after a long day.
Il fait nuit après une longue journée.

100_5200What has been done has been done;
what has not been done has not been done.
Ce qui est fait est fait,
ce qui n’a pas été fait
est laissé inachevé.

Let it be.
Laissons faire.DSCF9498

DSCF9497The night is dark.
La nuit est noire.

Let our fears of the darkness of the world and of our own lives rest in you.
Laissons nos peurs des ténèbres de ce monde et de nos propres existences reposer en toi.

DSCF9490The night is quiet.
La nuit est calme.

DSCF9458Let the quietness of your peace enfold us,
all dear to us,
and all who have no peace.
Laissons le calme que ta paix nous donne nous envelopper,
nous et tous ceux qui nous sont chers,
ainsi que tous ceux qui ne connaissent pas la paix.

The night hDSCF9474eralds the dawn.
La nuit salue le lever du soleil.

DSCF9466Let us look expectantly to a new day, new joys, new possibilities.
Guettons avec impatience le jour nouveau, de nouvelles joies,
de nouvelles opportunités.

Amen.

D’après le livre de prières de la Nouvelle-Zélande.
Toutes les photos ont été prises au mémorial du 11 septembre.
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New-York ou le petit voyage

La première que je suis allée à New-York, j’étais comme une gamine : excitée, excitée, excitée.

Si je me souviens bien j’avais fait au moins trois articles d’affilée, publié des dizaines de photos d’un intérêt assez discutable, moi en chepka sur Times Square en train de me geler le bout du nez, Xavier au Pain Quotidien en train d’officier avec un cookie géant, et des titres de post assez révélateurs, genre : « Voir Manhattan et mourir ». Bref, je n’avais pas grand chose à dire à part que j’étais heureuse, heureuse, heureuse. New-York, j’y avais été, voilà. New-York, c’était un événement en soi. Mais voyez ce que sont les choses, alors que je préparais mon dixième petit voyage dans la grosse pomme le week-end dernier, je me demandais si ça allait même être la peine de mentionner ça dans mon blog. Il n’y allait pas avoir grand chose à raconter. Parce que en dix séjours, j’ai eu le temps d’en faire des trucs à New-York: Battery park, Wall Street, Brooklyn Bridge, Brooklyn tout court, Chinatown, Little italy, Harlem, le Met, les Cloîtres, le MoMa, Broadway, Washington Square, Union Square, Greenwich Village, Chelsea market – pris le shuttle pour state Island, et je me suis même perdue dans le Bronx – la totale quoi. Bref, je ne sais pas si je suis déjà en mesure d’écrire mon propre guide, telle Pénélope Bagieu votre bobo préférée, mais enfin, j’ai largement passée mon initiation. Maintenant quand je lis un bouquin ou que je regarde un film et que ça se passe à New-York, je sais exactement où c’est : Strands, c’est là où j’ai pété la bandoulière de mon sac car j’avais pris trop de bouquins, Rector Street, c’est là où j’ai acheté une bouteille d’eau à $5 car il faisait 45 degrés à l’ombre des buildings, la High-line c’est là où j’ai dû m’affaler sur un banc parce que j’avais trop mal aux pieds. Jouissif. Émouvant. Enfin tout ça pour vous dire que la grosse pomme, je la connais presque comme ma poche maintenant.

Et d’ailleurs pourque97ee5736bd0b39e95227fad1637066c.1500oi la grosse pomme ? Une des multiples questions qui me taraudait sans que je n’ose jamais la poser de peur de passer pour une béotienne – béotienne que j’étais naturellement. En quoi New-York peut être assimilé à une pomme, eh bien ce n’est pas seulement parce que New-York est le symbole de la tentation mais il suffit de prendre le métro pour comprendre, en tous cas il m’a fallu prendre le métro pour comprendre, et de me rendre compte en voyant le plan du réseau que New-York (1) en fait ce n’est pas Manhattan, mais c’est aussi le Bronx, Brooklyn, le Queens et Staten Island, au milieu coule une rivière et vlan…vous avez en face de vous, avec quand même un peu d’imagination, une parfaite petite popomme coupée en deux (très important).

Avouez que vous en apprenez des choses avec moi.

Mais en fait ce n’est pas du tout ça que je voulais vous raconter – je ne résiste simplement pas à partager ma science. Non, ce que je voulais vous dire bien sûr, c’est que New-York c’est très surfait. C’est tellement simple d’y aller de chez nous, c’est aussi simple que de monter dans le bus – et c’est exactement comme ça que nous y allons. 4h30 de route si tout va bien, ce qui n’est jamais le cas bien sûr car comme vous pouvez l’imaginer la liaison Washington-New-York est toujours un peu encombrée sur la fameuse Interstate 95, qui pour une raison facile à deviner, a la réputation d’être l’autoroute la plus cauchemardesque des États-Unis. Mais bon, le maximum que j’ai fait ça a été 7h un vendredi soir – 1h30 rien que pour passer le tunnel de Manhattan – il n’y a pas trop à se plaindre, le billet coûte $25, il y a les WC dans le bus, l’air conditionné bien évidemment, et on peut s’arrêter dans le Delaware pour acheter des Bagels sur l’aire d’autoroute. Ce n’est pas que le Delware ait une spécialité de bagels, c’est juste que c’est à mi-chemin et qu’il y un Starbucks au milieu. La preuve en image, cette photo du plan que j’ai faite rien que pour vous afin que vous vous rendiez bien compte  – voyez comme je vous bichonne:

WP_20160109_11_33_37_Pro-close-upAlors New-York oui, un voyage de routine. Presque pas du jeu, car vous ne pouvez même pas avoir le stress des valises. Quoique vous puissiez oublier, votre rasoir ou votre après-shampoing, pas d’inquiétudes tous les magasins de première nécessité (mais oui l’après-shampoing en fait partie!) ou « convenient store » sont ouverts 24h sur 24h à deux pas de n’importe où où vous pouvez loger. Nous en général on loge dans l’Upper East side, pas qu’on soit snob, c’est un peu le 16ème français, mais parce qu’on a des copains là-bas puisque c’est aussi – entre autres – le quartier français (ceci expliquant cela). Dans le quartier français, ils soignent les détails de la snobitude jusqu’aux bouts des ongles – ou plutôt des fourchettes, parce que, par exemple cette fois on est allés manger à « Mon petit café » (en anglais dans le texte) et non seulement le serveur vous propose un onglet à l’échalote parfaitement non-cuit à point (les américains font griller la viande à mort, genre carbonisation barbecue), vous amène aussi une panière de pain (gratuite) et en fin de repas vous offre un café avec « ses petites gourmandises » (et non un vulgaire supersized triple layered chocolate cheesecake overload), mais le comble du bonheur quand même c’est quand vous l’entendez s’exclamer avec un parfait accent parisien : « Putain mais ils vont pas me faire chier, merde » après avoir pris la commande de la table à côté. Bon j’arrête de raconter ma vie – vous l’avez compris, à New-York, on est comme la maison, quoi.

Ce qui n’empêche pas d’avoir des surprises. Car quand on voyage, bien sûr, on ne fait pas que se déplacer dans l’espace, on se déplace aussi, bien sûr, à l’intérieur de soi. C’est là bien sûr la racine du verbe « é-mouvoir », être é-mu. « Un grand moment de motion », comme disait le « Toscan s’est planté » des Inconnus. Bien sûr, je suis une émotive à la base, surtout en voyage où je trouve que tout est tellement beau dans ce monde et où j’ai toujours peur de perdre mon sac (ou Xav). Je ne dors pas de la nuit avant le départ et je fonds en larmes dès que l’avion décolle.  Mais bref, cette fois mon grand moment de motion a commencé ironiquement avec une panne de métro. Parce qu’on était quand même venus pour une bonne raison à New-York, et la bonne raison – qui était aussi une bonne excuse pour échapper à mes devoirs du dimanche et filer à l’européenne, en week-end donc – la bonne raison donc, c’était Patrick, comme d’habitude. Patrick vous vous souvenez, parce que c’était avec lui que j’étais à St John’s, pendant mes deux ans de séminaire. Et puis, ce n’est pas le premier épisode de mon blog :  Patrick, on avait eu l’ordination, la première année, le mariage, la deuxième année, et cette fois c’était tout naturellement, le baptême, troisième année – baptême de sa fille Camille née il y a quatre mois. Rien de très surprenant donc. L’originalité, dans mon cas, quand je vais à un baptême chez des copains, c’est que mes copains baptisent leur propres enfants. C’est la classe bien sûr, mais ça fait quand même un drôle de choc. Car si on a calculé qu’il fallait seulement 20 minutes pour prendre l’express entre Columbus Circle et le cœur de Harlem où Patrick est maintenant recteur de la première église Afro-américaine (bien malgré lui, son chef étant décédé soudainement d’un arrêt cardiaque), ce qu’on n’a pas calculé c’est qu’il ne fallait que 20 minutes si le train passe. Si par exemple le train ne passe pas et qu’il faut appeler le taxi, ça fait plus long. Et c’est donc comme ça que je me suis retrouvée avec le privilège extraordinaire d’arriver en retard à l’église.

100_5123Bien m’en a pris.

Alors que je descends l’allée centrale, je vois mon Patrick – en prêtre, derrière l’autel – en train de réciter les prières, et ça, ça m’a fait un gros choc affectif quand même. C’était la première fois que je lui rendais visite dans son église, et c’est la première fois que je le voyais en prêtre. Et à partir du moment où il a pris Camille dans ses bras pour la porter dans les fonds baptismaux, je n’ai pas pu m’arrêter de pleurer. Une émotion presque maternelle, mais pas vraiment pour la petite, plutôt pour lui – ce qui est ridicule car il est plus vieux que moi et que je viens d’atteindre l’âge canonique de 40 ans tout rond. N’empêche. De le voir se débrouiller comme ça, prêtre, papa, responsable de son église sans que Luis (2) lui dise ce qu’il avait à faire et qu’il se débrouillait encore mieux que lui, pour verser l’eau sans en foutre par terre tout en lisant les prières et en portant sa fille – chapeau. Je n’en croyais pas mes yeux de voir comme il se débrouillait bien, de voir comme il avait grandi depuis le temps où on gribouillait nos sermons last minute dans les vestiaires quand on était étudiants – il n’y a pas si longtemps que ça. Je me suis bien gardée de lui dire, vous pensez, surtout devant ses paroissiens, imaginez : « Dis-donc Patrick, tu as vraiment l’air d’être un prêtre maintenant »- pas sûr que ça aide, et puis aussi parce que je me doute que ça ne concernait pas que lui, cette affaire. De le voir, je me suis vue aussi naturellement. Pour la première fois, j’ai vu ce que mes yeux ne peuvent pas voir de l’intérieur – ce que nous sommes devenus. Bien sûr, j’ai encore du chemin à parcourir puisque pour l’instant je ne suis qu’assistante recteur (mon chef ayant apparemment le cœur vaillant) et que le plus proche que j’ai été de baptiser mon propre enfant, ça a été de bénir mon chat le jour de la St François d’Assise. Mais ça n’a pas à voir avec la réussite, c’est juste que la vie passe à toute allure et qu’on ne la voit pas passer. Et que surtout, ça va si vite qu’on ne se rend pas compte de ce que Dieu fait pour nous et en nous et par nous – comme dit la prière Eucharistique – et à quel point nous sommes bénis. Je ne dis pas ça que pour nous, je dis ça pour tout le monde. La vie, on est juste tellement dedans qu’on perd la notion que c’est tout bonnement un miracle permanent.

DSCF9455Une impression qui n’a fait que se renforcer dans l’après-midi alors que Xav et moi partions en excursion pour le mémorial du 11 septembre – un des endroits à New-York qu’on n’avait pas encore visité. Pour tout vous dire, je ne m’étais pas pressé car je ne m’en faisais pas une idée aussi vertigineuse. Mais les deux fontaines de « ground zéro » font bien 20 à 30 mètres de profondeur, avec un plus petit sous-bassin dans le centre de la fontaine, dont on ne peut voir le fonds. Le bruit de l’eau en cascade est sans interruption, les noms des victimes tout autour, comme un murmure à la mémoire de tout ces gens. Si vous marchez en silence – sans tenter un selfie devant la chose avec tous vos copains, comme nous en avons vu beaucoup – vous vous laissez saisir. C’est une chose qui m’a surprise quand il y a eu les attentats en France de voir à quel point il était difficile pour beaucoup de se laisser saisir, qui préféraient évacuer la chose avec des commentaires du genre : « Ah mais de toutes façons ça arrive tous le temps dans d’autres pays », « On s’en doutait », « C’est pas pire que ce qui se passe ailleurs » – alors que si c’est effectivement plus facile de sentir l’empathie avec les gens de votre propre pays ou qui ont une culture proche de la vôtre, parce qu’on s’identifie, l’empathie ce n’est pas non plus un péché. Alors oui le 11 septembre on en a beaucoup parlé bien que des gens meurent partout, tout le temps, mais enfin toucher le cœur d’une tragédie, c’est toucher le cœur de toutes les autres aussi. Mais le cœur, bien entendu, c’est l’endroit où c’est le plus difficile d’aller.

La vie est un miracle, bien sûr, bonjour le cliché. Ce n’est pas seulement ce que je voulais dire. Ce que je voulais dire, c’est que nous sommes vraiment tous extraordinaires et uniques et que si je devais expliquer mon boulot, je crois que ce serait ça : faire comprendre aux gens à quel point ils sont tous extraordinaires, uniques et importants. Et que la pire violence et la pire haine, c’est de dire aux gens qu’il ne sont rien, qu’ils sont vides, qu’ils existent ou qu’ils disparaissent, ça ne change rien – ground zero. Au musée du 11 septembre, il y a des enregistrements des proches des victimes qui racontent des anecdotes sur ceux qu’ils ont perdu, une petite biographie. Même celle d’une petite fille de quatre ans qui « aimait aider sa grand-mère au jardin et embrasser les fleurs ». Je ne pense pas qu’il s’agit de se souvenir de tous ces gens à tout prix. D’une façon ou d’une autre, ils seront oubliés, comme nous tous. Je crois qu’il s’agit de dire qu’ils ont compté et que leur vie n’a pas été en vain.

J’ai appris qu’au milieu des décombres, des secouristes ont retrouvé deux colonnes en métal enchâssés comme une croix, ressemblance avec la croix du Christ d’autant plus frappante qu’un morceau de tôle plié sur un bord figure le linge que l’on représente parfois sur les crucifix pour signifier la Résurrection. Je crois vous avoir déjà dit que Patrick a échappé au 11 septembre – il avait, voyez ce que sont les choses – raté son train et était encore dans la station de métro quand la tour à côté de laquelle il travaillait s’est effondrée. Est-ce que c’est injuste de continuer à vivre quand les autres sont morts, je ne sais pas, est-ce que Dieu a des préférés, je ne crois pas. DSCF9444Ce jour là, j’ai pensé à Patrick et à tout ce qu’il a accompli comme à cette croix sortie des décombres. Un signe. Un signe qu’on a le droit d’espérer, que quand il ne reste plus rien, il reste le Christ et que dans sa chair et son sang, dans sa souffrance et sa passion il nous porte et nous emporte avec lui.

Quand il ne reste rien, il reste Lui. Que comme cette vie semble se dilater sans cesse pour nous mener vers une vie plus grande, d’enfant à adulte, peut-être qu’en vieillissant et en mourant on quitte ce qu’on a pour une vie plus grande.

Le jour de mes quarante ans, mon orchidée qui fleurit une fois tous les six mois, a fait une fleur, comme ça. Juste une. Un signe ? Je ne sais pas, mais je l’ai embrassée, naturellement.

En souvenir de la petite fille.

Au final, on a fait pas mal de trajet, en peu de temps.

V__110C(1) Alors je ne voulais pas aller trop loin pour ne pas vous embrouiller davantage, mais les américains disent toujours « New-York city » pour parler de New-York. Si vous dites à des américains que vous allez à « New-York », vous les confusez, ils pensent que vous allez dans l’État de New-York et vont vous demander si vous allez à la plage ou faire du ski (selon la saison).
(2) Bah. Vous vous souvenez de Luis, quand même ?? C’était il n’y a pas si longtemps non plus.
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