Une des difficultés qu’il y à passer d’une langue à l’autre, ce n’est pas seulement de rester clair au niveau des règles de grammaire et d’orthographe – comme je vous en ai déjà touché un mot dans mon dernier article. Une autre difficulté, c’est qu’il y a des mots quasiment intraduisibles – et qui pourtant vous servent tout le temps. Tenez, par exemple le verbe : to commute. J’ai vérifié dans le dictionnaire en ligne Collins français / anglais – dictionnaire qui, soit dit au passage, est mon meilleur ami de la vie chaque fois que je dois aller chez le coiffeur, chez le garagiste ou chez le dentiste – bref chaque fois que je dois utiliser un vocabulaire extra-théologique – car en anglais, je sais dire transsubstantiation, exégèse et sotériologie (1), mais frange, clignotant et aphte, je dois chercher à tous les coups. Et donc, dans le dictionnaire Collins, voilà la définition qu’ils donnent au verbe commute: faire la navette (quotidiennement, entre chez soi et un lieu de travail éloigné).
Et donc là, tout de suite c’est un signe : Un truc qu’il faut plus de treize mots en français pour le dire, autant le dire tout de suite, c’est qu’on en parle jamais. Conclusion (et voyez comme en un bond, on passe de la linguistique à l’ontologique (2)) : en France, le commute ça n’existe pas, ou si ça existe tout le monde s’en fout. Le commute, ça se dit « aller au travail » et le travail, de toutes façons personne ne veut en parler. Aux États-Unis, le travail, tout le monde trouve ça génial mais exception à la règle (et c’est pour ça qu’il y a un mot spécial), le commute, vous avez le droit de critiquer. Je dirais même plus, pour avoir des amis ici, c’est obligatoire de commuter et de parler de son commute et d’utiliser plein d’adjectifs pour parler de la circulation, avec crazy et insane en début de liste. Ce qui a pas mal d’avantages : vous arrivez au boulot le matin à 10h30 en disant « traffic was crazyyyyy on the beltway » et tout le monde incline la tête en continuant son travail. Pareil dans le sens inverse: vous quittez le boulot à 15h en disant que vous êtes « worried about this insane traffic » (en insistant sur le « in » de insane) » et personne ne vous dira rien non plus. Bref, le traffic c’est à la fois la plaie et la bouée de sauvetage du travailleur suburbain, son Kyrie Eleison professionnel qui lui permet à coup sûr d’obtenir l’absolution de la hiérarchie. Et c’est pour ça bien sûr, que le dilemme du washingtonien n’est pas très loin du dilemme du parisien: Comme le parisien qui déteste vivre à Paris mais ne quitterait Paris pour rien au monde, le washingtonien déteste conduire mais ne laisserait sa voiture au garage pour rien au monde. De toutes façons, bonne chance pour vous trouver un bus ou un métro en état de fonctionnement.
Moi, bien sûr, je ne me doutais de rien.
D’aller travailler, le premier truc que j’ai réalisé, c’est que j’allais avoir un chef – certes – des paroissiens – certes – une église – encore mieux – mais surtout que j’allais avoir un bureau. En deux ans de prêtrise itinérante, il était temps. Comme le disait Charles Wesley – considéré comme le père du père du grand réveil spirituel américain (3) et qui ironiquement n’a jamais trouvé de travail aux États-Unis: « The world is my parish« . Ou comme votre servante le disait à son Xav : « Mon bureau, c’est l’autel » – mais enfin, quand même, bonne chance pour vous installer une machine à café entre le calice et le ciboire.
Là j’ai un vrai bureau qui cumule avantages et inconvénients. Dans le désordre: mon bureau est à côté du bureau de mon chef, qui débarque à toute heure du jour pour utiliser ma poubelle (4), ma fenêtre donne sur la cour de l’école avec qui nous partageons les locaux – l’enseignement Montessori étant alternatif – les petits dansent sur la Macarena à l’heure de la récré. J’utilise mon propre PC et j’ai acheté ma propre bouilloire, car croyez-le ou non, mon chef et sa secrétaire ne boivent pas de café. Jamais.
Bref, du coup les premiers jours j’étais plutôt excitée. Après avoir fait du ménage, je me suis concoctée une petite ambiance feutrée. J’ai emmené mes livres favoris dont une Bible, mon mug favori avec marqué mon nom dessus, ma tisane anti-anxiété, mon châle pour les petits coups de froid, une photo de Xav, pour ne faire trop vieille fille non plus et, bien entendu, la photo de mon ordination – je n’ai pas franchi le cap d’avoir mon diplôme encadré, un must-have à l’américaine pourtant. Imaginez un peu : « Fanny, prêtre agréée » – faites moi confiance quand je vous parle de la vie éternelle, j’ai un certificat qui peut le prouver.
Bon, mais tout ça bien sûr, c’était l’enthousiasme des débutants, car bien entendu, là où je passe le plus de temps, c’est quand même dans ma voiture.
Ce n’est pas trop mal pourtant comme commute, car je suis dans le sens inverse de la circulation. Puisque je travaille à la campagne, au lieu d’aller vers Washington, je m’en éloigne, ce qui me brise quand même un peu le cœur au passage, certes mais sur le chemin du retour, j’ai la satisfaction de voir des files de voitures sur la voie opposée – alors que moi, Tintin, sauf quand il y a des bus scolaires: arrêt imposé jusqu’à ce que le dernier marmot ait récupéré son sac à dos au fond du car, ce qui, croyez-moi, peut prendre jusqu’à dix minutes. Mais c’est ça ou $200 d’amende (et croyez-moi aussi, c’est vrai, j’ai un reçu qui peut le prouver…). Non, ce qui me prend le plus de temps, c’est d’aller rendre visite à truc muche à l’église pas loin, passer m’acheter un sandwich juste à côté, visiter l’association en bas de la rue (autre subtilité de traduction, en anglais « c’est en bas de la rue » ne veut pas du tout dire que vous pouvez y aller à pied). Au final, le GPS est devenu mon meilleur ami de la vie (après mon dictionnaire), et la Buick se remplit semaine après semaine des objets les plus inattendus : pack d’eau, boutons de col, chaussures de rechange, recharge pour mon téléphone, un nouveau CD de Miley Cirus (puisque, apparemment, elle m’inspire pour mes sermons).
Mon chef a bien compris le coup.
Pour m’encourager, il m’a offert un large magnet « St D’s, Episcopal Chruch » car un autre must-have à l’américaine c’est d’afficher votre vie sur votre voiture, on appelle ça des « Bumper Stickers ». De façon très utile, le Bumper Sticker indique aux gens qui sont coincés derrière vous au feu rouge, là où vous allez à l’église, quelles sont les associations où vous militez, si vous avez fait l’armée, si vos enfants sont à l’université et où, quels sports ils pratiquent, si vous avez adopté votre chien et quelle race – je ne déconne pas – si vous pensez que Jésus sauve ou non. Et bien sûr si vous êtes favorable au port d’armes, à l’avortement, à Hillary Clinton. Le bumper sticker : un truc que je m’étais juré de ne jamais faire, mais contrarier son chef les premières semaines ? Je me suis abstenue de lui dire ma pensée profonde : en tant que conductrice, je ne suis pas sûre de faire forcément une publicité très favorable à l’église. Ne riez pas, la semaine dernière nous avons reçu un mail d’un gars fou furax parce qu’une des nos paroissiennes (porteuse du joyeux autocollant) lui avait fait une queue de poisson. Il concluait son message en déclarant que des chrétiens avec un tel comportement, c’était à en perdre la foi. Autant vous dire que j’ai la pression si, en allant ou en revenant du boulot – en commutant – je risque d’annuler les effets de ce que mon boulot est censé produire (la foi chez les autres, donc). La tension est redoublée pour moi qui doit porter le col au volant. Un prêtre qui jure ça fait très, très mauvais effet. Alors l’autocollant St D’s, c’est un peu un garde-fou. Et puis, c’est vrai que ma voiture, au final, autant l’admettre, c’est un peu mon bureau.
Je me demandais récemment si je ne pouvais pas l’aménager en église provisoire, avec un crucifix ou deux sur le tableau de bord, histoire de prier pendant les bouchons? Un bon moyen de retourner à la prêtrise itinérante, sans doute.

Ce week-end, nous avons visité le cottage d’été d’Abraham Lincoln, où nous avons appris que le sieur, lui aussi, « commutait » : tous les matins, une demi-heure à cheval jusqu’à la Maison Blanche. Ce n’était pas exactement le bon temps : le pays était à feu et à sang pendant la guerre de sécession, les soldats et les vaches campaient sur le National mall et l’eau du Potomac vous refilait le Thyphus tellement elle était polluée (c’est comme ça que Lincoln a perdu son fils). Bref, l’optimisme à l’américaine est confirmé : de nos jours on s’en sort bien avec des bouchons.
j’espère que tu écoutes Miley Cyrus mais que tu ne vas pas jusqu’à copier les tatoos de ses mains (très visibles pendant la communion!) que le FBI pourrais supposer appartenir à qque groupe séditieux quant aux chaussettes et shoes je ne ferais aucun comment même si j’aime tout ce qui est coloré!
Il faudrait voir comment nos cousins québécois traduisent « commute »…
Car c’est un sujet qui nous préoccupe de + en + en France comme le prouve cet article :
« A la longue, « les trajets domicile-travail affectent votre santé physique, mentale, et la manière dont vous appréhendez les autres ». Présenté comme cela par le site Gizmodo , ce que les anglophones appellent le « commuting » (le trajet domicile-travail et son retour) doit être pris au sérieux. Comme tout bon sujet sérieux, la science s’en est emparée. »
source : http://actuvelo.fr/lien.php?url=http://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/021371599014-quel-est-le-meilleur-moyen-de-transport-pour-aller-au-travail-selon-la-science-1161924.php#
Ravie de trouver ton nouveau blog (bien planqué de Google, limite furtif, ce blog. Tes nouveaux amis de Langley ont dû te donner des cours).
Ton humour est toujours aussi percutant.
Quelqu’un disait qu’avec tous les livres qu’il lui restait à lire, il allait être encore souvent heureux.
Avec ton blog je me dis que je vais encore souvent rire 🙂