Le squelette et le papillon

DSCF8684smallMes amis, le temps file à une vitesse considérable. Nous voilà déjà samedi soir, et je n’ai pas encore posté mon sermon de dimanche dernier – le fameux dimanche de la Toussaint. La Toussaint ici, c’est tellement joyeux que j’en oublie presque que c’est les chrysanthèmes et les cimetières de l’autre côté de l’Atlantique. Aux États-Unis, au moment de la Toussaint, si on croise des squelettes et des citrouilles à tous les coins de rue, au final c’est plutôt convivial : les enfants (et les chiens) se déguisent, on va papoter avec ses voisins et surtout on s’enfile pas mal de sucreries – ce qui n’est pas unique à cette saison de l’année, comme vous avez déjà certainement eu l’occasion de l’apprendre.

Mais chose extraordinaire, à l’église, la Toussaint ce n’est pas triste non plus.

Je ne sais pas quelles sont vos compétences en matière de saisons liturgiques, mais enfin, si vous n’en avez pas, apprenez qu’entre la Pentecôte (que vous connaissez à cause du week-end) et l’Avent (que vous connaissez à cause du calendrier), c’est le temps dit « ordinaire » où il ne se passe pas grand chose – on en profite pour réviser les fondamentaux à savoir : Qu’est-ce que cela veut dire être un chrétien. On lit les paraboles, on révise les grands enseignements de Jésus, et pour marquer le non-coup, dans l’église on se revêt tout de vert : étole, chasuble, linge d’autel (Je ne sais pas dans quelle tête de liturgiste le vert est la couleur de tous les jours, mais enfin c’est devenu la règle). Mais le jour de la Toussaint, on fait une exception et on passe tout en blanc – ce dimanche ça a été d’ailleurs in extremis car les petites mains chargées de préparer l’église avaient oublié, et c’est votre servante qui a refait toute la déco un quart d’heure avant le début du service, pile poil, mon chef était content – comme quoi avoir sous la main une grosse stressée de la vie un peu psychorigide, ça a du bon parfois. Tout ça pour vous dire, le jour de la Toussaint on est content, l’Écriture nous rappelle que Dieu « essuiera toute larme de nos yeux », qu’il n’y aura plus de chagrin ni de deuil puisque Jésus est ressuscité et nous offre la vie éternelle.  Toussaint, « Tous saints » si vous n’avez pas fait le rapprochement.

DSCF8680smallIl faut dire qu’on est très fort pour faire la fête dans mon église, et pour transformer le chagrin en joie. Par exemple, les enterrements, on n’appelle plus ça des enterrements. Déjà parce que c’est rarement un enterrement – les américains préfèrent la crémation, jugée – vous allez rire – plus « écologique ». Enfin, je ne sais pas si c’est plus écologique, étant donné la dose de CO2 dégagée par la combustion, je ne suis pas certaine, mais dans tous les cas c’est assez ironique : Après une vie à rouler en 4×4 et à boire du coca dans des gobelets en plastique, l’américain moyen veut mourir vert et se faire incinérer parce que c’est plus écologique.

Mais enfin, tout ça pour vous dire que l’enterrement devient un non-enterrement car il se déroule en général plutôt autour d’une petite boîte que d’un cercueil. Ou pas. Car c’est une chose assez typique ici aussi, c’est qu’aux « enterrements » dans les églises, crémation ou pas crémation, il n’y a, croyez le ou non, même pas de corps ou de cendres. C’est comme qui dirait, « géré en amont », à l’hôpital, par la maison funéraire. On laisse les spécialistes disposer du corps plus ou moins où bon leur semble, et vous, la famille du défunt, vous venez à l’église pour célébrer la vie. Sans rire. L’enterrement, dans le meilleur des cas s’appelle un « mémorial », dans le pire « Une célébration de la vie de… (notre ami Roger, décédé donc) » ou « Un remerciement pour la vie de… (tante Berthe, trépassée elle aussi) ». « La mort n’est rien » a dit Saint Augustin, eh bien dans l’église épiscopale on prend ça très au sérieux. Les célébrations funéraires (j’essaie de trouver un terme adéquat) commencent par cette citation de Jésus : « Je suis la résurrection et la vie ».

Et donc moi je veux bien, j’ai tout à fait foi en la résurrection du Christ et de facto en la résurrection des morts, mais enfin pour ressusciter, il faut bien commencer par mourir, et si on croit que Dieu doit essuyer nos larmes, c’est forcément parce qu’on aura pleuré un peu, ou beaucoup.

C’est pour ça que cette semaine, j’ai été contente de rencontrer un conférencier, venu parler au séminaire des sermons funéraires (1), qui, lui, se posait la question de savoir si, par hasard, dans l’église, on n’était pas un peu dans le déni. Et là j’ai poussé un ouf de soulagement, car dans tout ce que j’ai vu jusque là j’ai pu noter que dans le clergé, c’est très mal vu d’avoir peur de mourir. Je ne dis pas pas peur de la mort. Quand vous êtes prêtre, la mort, d’une façon ou d’une autre vous finissez par vous y habituer, c’est tout autour de vous : les malades, les hôpitaux, même s’il n’y a plus tant de cadavres dans les églises. Non, je veux parler de la peur de votre mort personnelle ou de celle de vos proches. Vous n’y avez pas droit, vous vous devez d’être dans la confiance, voire dans la jovialité et, si possible, le faire savoir autour de vous. Mon évêque par exemple a pondu un document de 5 pages décrivant son enterrement par le menu : textes, chants et angle du goupillon au dessus du cercueil – et il veut que ses prêtres fassent de même. Après qu’il m’ait relancée pendant des mois, j’ai fini par lui envoyer un mail de de deux lignes lui disant que je voulais un enterrement (pas de petite boîte pour moi), une Eucharistie et que je donnais mon argent aux pauvres. Et que ah, c’était franchement inutile de me rapatrier. Je sais que c’est stupide de faire son testament sur un coup de tête. On nous serine qu’il faut y penser et le faire avec diligence pour être un exemple de quelqu’un qui ne veut pas être un fardeau pour ses proches –  mais moi franchement, je n’ai pas envie d’y penser, et je n’ai pas envie d’y penser car je n’ai pas envie d’y passer. Contrairement à mes petits camarades de messe, moi mourir, ça me terrorise.

Parce que je n’ai pas assez la foi était jusque là la réponse qui s’imposait.

DSCF8713smallPas sûr, me dis-je maintenant à la réflexion, après qu’un théologien de bonne foi – sans mauvais jeu de mots – ait enfin posé la question du déni et surtout après qu’il ait souligné de façon humoristique que les américains ont cette exception culturelle – à tout peuple, à tout temps – de ne pas inviter les morts à leur propre enterrement – entendez par là l’absence de corps aux enterrements, ou la petite boîte, c’est à dire la crémation qui a lieu avant la cérémonie religieuse.

Et c’est à que j’ai pigé un  truc : Un corps mort, ça pèse lourd, c’est présent. Rayer le corps de la cérémonie funéraire, c’est rayer tout qui pèse, littéralement. La peur, le chagrin, la colère. La foi, ce n’est pas dire que tout cela n’existe pas, c’est dire qu’il y a quelque chose de plus que tout cela. Ou au-delà de tout cela. Je veux être un fardeau pour mes proches a dit le conférencier, entendez par là : un malade, un mort ça pèse. On ne s’en débarrasse pas par dessus le mur, par-dessus la jambe, on ne gère pas cela en amont. Je veux être un fardeau pour mes proches, comprenez : je ne veux pas régler tous les détails de ma cérémonie, je ne veux pas m’occuper de tout, car la mort, ça pèse mais l’amour aussi, ça a du poids. Et laisser votre famille gérer votre corps, prendre soin de votre enterrement, c’est leur donner l’occasion de vous aimer une dernière fois. Et j’ajouterai : Peut-être aussi d’expérimenter suffisamment profondément cette existence pour découvrir qu’il y a plus à la vie que cette vie. Et peut-être que c’est ça la foi, non pas ne plus avoir peur, non pas ne plus avoir de souffrance ou de chagrin, non pas peut-être même ne plus avoir de colère, de ressentiment, de péché mais sentir qu’il y a quelque chose de plus grand, de plus profond, de plus lourd. La foi ne vous transforme pas tant qu’elle ouvre une autre dimension – celle de l’espérance.

Un vieux prêtre de ma connaissance (pas dans cette partie du monde) a dit un jour quelque chose que je n’oublierai jamais : Dieu nous révèle la tragédie qu’est l’existence et il nous révèle la grandeur de la foi. Tragédie et espérance : pour avoir la joie vous devez traverser le chagrin, pour ressusciter, vous devez goûter la mort. Pas faire semblant que ça n’existe pas.

Ce qui était à peu près l’objet de mon sermon.

Je suis toujours rassurée quand je rencontre des gens qui pensent comme moi, parce que ça n’arrive pas si souvent que ça et que du coup je doute énormément de moi-même, à peu près tout le temps mais surtout entre minuit et cinq heures du matin (comme vous l’avez compris). Mais cette conférence, c’était un peu un cadeau des cieux. Car une autre chose qu’a dit notre théologien c’est que, d’une façon générale, les sermons de nos jours manquent un peu de poésie. Que ce n’est pas que les gens ne font plus l’expérience de Dieu, mais qu’ils n’ont pas les mots pour reconnaître et décrire cette expérience car ce que notre société a gagné en scientifique, nous l’avons perdu en métaphorique… Cela m’a  rassurée aussi, car je me suis rendue compte que si certes j’ai plutôt peur de mourir – la vérité vraie c’est que d’une façon générale, à force de douter de moi tout le temps (surtout entre minuit et cinq heures du matin (comme vous l’avez re-compris)),  plus souvent et plus simplement, j’ai surtout juste peur passer pour une débile. Et là, pour ce sermon, après avoir parlé des films de Julia Roberts il y a quinze jours, je me suis demandée si parler à mes paroissiens de mon ami papillon de quand j’étais petite, c’était vraiment une bonne idée.

Apparemment, si. Mais comme vous l’avez compris, cet homme a des idées qui ne sont pas celles de tout le monde. Cette semaine, ça m’a suffit qu’il partage les miennes – même si au final bien sûr ce n’est sans doute qu’à moitié rassurant.

Sermon1101

(1) Thomas Long – une pointure dans son domaine, mais soupçonnant que ce nom ne vous dirait rien, je me suis abstenue de le mentionner !
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2 réponses à Le squelette et le papillon

  1. Julie dit :

    C’est fou cette coutume de tout gérer en avance… On ne voit pas ca dans les films!
    Et salut à toi, papillon blanc!

  2. Sophie dit :

    Ton article m’a beaucoup touché, cette année curieusement la Toussaint m’a été plus légère que d’habitude. Nos longues discussions y sont surement pour beaucoup, Samuel et la météo ensoleillée auront fait le reste ! Merci Fanny pour ton soutien depuis la mort de mon papa.

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