Je ne vous ai pas donné de mes nouvelles récemment et pour cause, je ne vais pas super bien. Je n’ai pas la frite disons – c’est surtout que je manque totalement de sommeil. Bien sûr, après y avoir réfléchi un peu, je me suis dit : Aller pas bien et ne pas vouloir écrire, ce n’est pas du tout une excuse. Surtout en France. Vous broyez du noir, vous êtes en dépression ? Mais c’est le moment parfait pour vous lancer dans votre premier roman. Succès garanti ! À ce propos, j’ai lu le dernier roman d’Olivier Adam, justement au cours de mes dernières insomnies. Olivier Adam, d’habitude j’aime bien. Bien sûr, c’est français, bien sûr c’est déprimant, mais dans l’ensemble c’est plutôt touchant, une tristesse un peu tendre et nostalgique, presque apprivoisée. J’oserais même dire : une tristesse qui vous fait du bien. Certains de mes lecteurs comprendront. Ce dernier roman par contre, j’avoue que j’ai eu un peu du mal à l’avaler. Beaucoup de rancœur, de colère – surtout contre les vieux, les riches et les gens de droite – ce qui pour moi revient un peu à frapper son chien : une cible facile et toute désignée, un moyen d’être méchant sans trop se faire remarquer. Mais bref, malgré tout, au milieu de tout ça, quelques perles, on ne se refait pas quand on est un bon écrivain, on est un bon écrivain – et notamment une phrase qui m’a marquée, celle d’un de ses potes qui lui fait prendre conscience que lui, Olivier Adam, est inapte au travail vrai de vrai, avec des horaires un patron et une feuille de paye, qu’il est juste « censé habiter poétiquement le monde, et en rendre compte » et que c’est là sa vocation.
« Habiter poétiquement le monde est en rendre compte »- ça m’a fait rêver. Plus ça va, plus je me demande si la combinaison travail alimentaire et vocation sont vraiment une bonne combinaison, si je ne pourrais pas me contenter « d’habiter religieusement le monde et d’en rendre compte » – et je ne sais pas, me nourrir comme les petits oiseaux, d’autres ont déjà tenté l’expérience.
Comme je vous en déjà touché deux mots dans un de mes premiers articles, mes responsabilités professionnelles à ma nouvelle église sont diverses et variées puisque mon contrat de travail stipule que j’ai été embauchée pour : « Proclamer l’Évangile, aimer et servir le peuple du Christ, le faire grandir et le fortifier pour glorifier Dieu dans cette vie et dans la vie à venir ». Et maintenant que j’y pense, je me dis quand même que c’est peut-être pas si étonnant que ça que je dorme aussi incroyablement mal depuis un mois. Bien sûr quand je suis allée à ma retraite, j’ai dormi comme un bébé – ce qui me fait dire : il y a un truc qui me stresse ici et comme il y a peu de chances que ce soit Xav ou le chat, ça doit être le boulot. Pas étonnant, vous me direz avec des responsabilités pareilles, si, comme le stipule mon contrat, le salut de mes ouailles repose un peu sur mes épaules – sachant que je ne suis pas déjà pas bien sûre du mien.
Et si je me plante ?
Et si je leur dis ce qu’il ne faut pas ?
Et si, au final, Dieu n’existait pas ?
Vous me direz, c’est un peu tard pour y penser, mais bref, mon nouveau boulot me fournit tout un panel de questions à débattre avec moi-même de préférence entre minuit et cinq heures du matin. Je vous remercie d’avance pour votre sollicitude, mais inutile de m’envoyer des commentaires-conseils, côté sommeil, j’ai littéralement tout essayé : Le magnésium, la mélatonine, la tisane apaisante, les somnifères en vente libre, le paracétamol, le verre de vin rouge, le CD de relaxation, le cocktail de plantes « Rescue », le sport, l’inénarrable Xanax et – j’ai honte de le dire – parfois : un peu tout ça en même temps. Enfin, en espaçant d’une heure. J’ai tout mon temps, de toutes façons, puisque je ne dors pas. Pour vous dire à quel point j’ai tout essayé c’est que m’étant avisé que d’essayer de me relaxer ça ne m’aidait pas, parce que je stressais de ne pas arriver à me relaxer, j’ai essayé l’inverse : ne pas me relaxer, exprès, pour ne pas stresser, ensuite. Me coucher tard après avoir regardé des séries abrutissantes, par exemple. Et bien, certes, ça ne marche pas non plus, mais ce n’est pas pire que ce qui est censé marcher. Non pour l’instant, ma plus grande victoire ça a été de manger des pancakes à la banane et au sirop d’érable (parce que je ne me nourris pas encore comme les petits oiseaux) tout en regardant « Recherche Susan désespérément » : Six heures de sommeil d’affilée une veille de sermon – un exploit. Peut-être que je tiens le bon bout, finalement.
Mais donc, mes activités à mon église sont diverses et variées. Comme vous le savez déjà, je prêche et je célèbre l’Eucharistie mais aussi, je suis responsable de la formation pour adultes. La formation pour adultes, qu’est-ce que c’est me direz-vous, eh bien c’est un peu comme le caté mais différent, du caté pour grands et ça peut être un peu tout et n’importe quoi. C’est souvent du n’importe quoi : littérature, actualité politique, cours de crochet tout, sauf ce qui a vraiment un rapport avec Dieu car, dans l’église, du moins dans la mienne, l’église épiscopale, une sorte de consensus de fausse humilité cléricale part du principe que les gens savent déjà tout, alors que la vérité, bien sûr, c’est que les gens ne savent pas grand chose. Attention, je ne les blâme pas. Je suis tout à fait moi-même en recherche et en questionnement mais au fond c’est ça le problème de la fausse humilité cléricale:
Les gens ne savent pas parce que leurs pasteurs ne leur apprennent rien mais les pasteurs préfèrent officiellement penser que les gens savent tout, comme ça les dits pasteurs n’ont rien à leur expliquer, ce qui est bien pratique parce que la vérité c’est qu’ils ne savent pas comment l’expliquer parce qu’ils n’a pas bien compris non plus.
Bien sûr, il y des gens très cultivés dans l’église, des deux côtés de l’autel, et surtout dans ce coin du pays: journalistes, juristes, politiciens. Il y a des gens qui connaissent leur Bible par cœur, et savent même des trucs de folie genre à quoi correspondaient l’Afghanistan, l’Iran ou l’Irak à l’époque du Christ, mais ce n’est pas étonnant parce que l’Iran, l’Irak, l’Afghanistan ils y sont allés, y ont même vécu un peu comme cette petite mamie l’autre jour qui m’expliquait qu’elle parle couramment français parce que dans le temps, elle faisait du renseignement pour la CIA en Allemagne (Je n’ai toujours pas bien compris le rapport, mais apparemment pour les américains, l’Europe, c’est un peu seul pays, peut-être que, dans le temps, elle travaillait avec les Alliés). Tout cela pour dire : Ils sont forts mes paroissiens , j’ai intérêt à être sûre de mon coup et à ne pas dire de conneries. Au final, la géographie j’ai trouvé plus sûr de ne pas en parler du tout. Quand il y a une question géographie, c’est là en général que je fais une pause pipi – pour laisser quelqu’un d’autre répondre à ma place, parce que moi tout ce que je sais avec certitude c’est qu’au temps de Moïse, l’Égypte était déjà au même endroit. Mais bon, je pense que je ne suis pas une mauvaise formatrice non plus parce que le fait est qu’avec un peu d’expérience, j’ai pigé un truc : Si vous voulez apprendre quelque chose aux gens dans l’église, n’abordez pas les questions difficiles. Abordez les questions faciles, les trucs de base, ce que tout le monde doit savoir parce que, à coup sûr, personne ne sait rien là-dessus – puisqu’on en parle jamais. Et du coup, qu’est-ce que je fais pour la formation pour adultes ?
Eh bien, je me découvre en prof chiante : je fais faire des révisions. Des trucs de base, des trucs qu’on oublie tout le temps. Pour mon premier cours, j’ai voulu commencer avec le Credo, vous savez le fameux « Je crois en Dieu, le Père Tout-puissant créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible » etc. mais mon chef m’a carrément interdit. Trop compliqué. Évidemment, le Credo, quand on met le doigt dessus, ça pose des questions : Qu’est-ce que ça veut dire que Dieu est Père ? Est-ce que ça exclut qu’il soit Mère aussi ? Qu’est-ce qu’on entend par Toute-puissance ? Quel genre de pouvoir ça implique ? Tous les pouvoirs y compris les pouvoirs sataniques ? Qu’est-ce que ça veut dire que Dieu a fait le ciel et la terre si la nature est misérable et injuste et que les animaux se bouffent entre eux? Visible et invisible, est-ce que ça implique d’autres univers ? Est-ce que le Christ est le Christ chez les Martiens chez qui il n’a jamais foutu les pieds ? Bref, en une seule phrase du Credo, si vous cherchez un peu, vous avez largement de quoi vous faire plaisir. Et ces questions ce sont des questions que la plupart des chrétiens ont en eux mais n’abordent jamais vraiment – bien sûr, moi j’y pense tout le temps et ça me réveille la nuit mais ça, c’est une autre histoire, comme vous l’avez compris – parce que le problème, pour les chrétiens, c’est que les trucs de base personne ne leur explique jamais et du coup, ils ont honte.
Honte de ne pas savoir un truc qu’ils pensent être censés savoir depuis le commencement.
C’est pour ça que pour cette rentrée, on a parlé de la prière. Et je suis d’accord, c’est moins controversé que le Credo – mais surtout : on en a bien besoin. Parce qu’à l’église on passe notre temps à prier, et on dit aux gens de prier mais on n’a pas vraiment idée de ce qu’il faut faire. Et la plupart des gens pensent:
- qu’ils ne savent pas prier
- qu’ils prient mal
- qu’ils n’ont pas le temps
- que Dieu ne va pas répondre, ou que c’est du 50/5o – donc que ça ne sert à rien généralement
Il y a certes une littérature incroyable sur la prière bien sûr, mais la plupart du temps, c’est plutôt décourageant. Déjà que vous n’êtes pas très motivé pour prier, mais si vous devez avant ça vous taper de lire 250 pages autant dire que vous ne prierez jamais. Alors on a un peu fait des révisions, certes, les différentes formes de prières, la méthode ignatienne, la Lectio Divina, le chapelet, la méditation, la prière de Jésus, les fameux bouquins de prière – il y en a littéralement des milliers. C’est un sujet inépuisable, parce que personne n’a trouvé de réponse définitive, de moyen imparable, et c’est ça bien sûr que je voulais aborder.
Car la vérité, bien sûr, c’est qu’avec Dieu – comme dans toutes les choses importantes dans la vie – l’amitié, le sommeil, le bonheur et l’apprivoisement des écureuils – il n’y a pas de mode d’emploi. Et ça a l’air bête à dire, mais je me suis rendue compte que ça rassure vachement de vous entendre dire ça. Parce que tout le monde semble persuadé que Dieu vient avec un mode d’emploi, qu’il y a des gens chanceux pour qui ça marche…et d’autres malheureux pour qui ça ne marche pas. Et c’est ça le problème, parce que la prière, quoi qu’on en pense, ce n’est pas quelque chose qui est censé marcher non plus. Pour le dire de façon un peu directe : Dieu n’est pas un robot multi-fonction ou une machine à café. Voire, Dieu est une personne, et une personne assez indépendante, généralement. Mais c’est là que ça devient intéressant aussi. Parce que vous êtes une personne aussi. Indépendante, à vos moments. Et que vous avez le droit de lui dire tout ce que vous avez dans le cœur, dans la tête. Bonjour, merci, s’il te plaît, pardon. Mais aussi parfois, non, je ne crois pas, je suis en colère, je te déteste. Bref, vous avez le droit d’en faire à votre tête vous aussi. De prier dans les files de supermarché, aux feux rouges, aux toilettes, de dire, un peu comme dans un roman français, des choses belles, stupides, peut-être même parfois méchantes – de dire tout ce dont vous avez besoin. Et si la prière ne marche pas toujours, ne marche pas dans bien des cas, elle porte des fruits. Vous commencez à changer, et votre vie commence à changer, elle aussi.
La vérité, c’est que la prière ce n’est pas Dieu qui est censé vous répondre, quand vous priez, c’est vous qui répondez à Dieu, qui vous invite le premier dans la conversation. Car si Dieu est une personne, il n’est pas non plus quelqu’un d’autre en face de vous, il est en vous, et avec lui, dans votre vie vous vous faites les questions, et vous vous faites les réponses avec lui. Bref, vous entrez dans son intimité. Alors allez-y lâchez-vous, avec Dieu, ne pas aller bien n’est pas du tout du tout une excuse pour ne pas lui parler. Cela dit, vous n’êtes pas obligé de parler non plus – vous pouvez prier en silence, sans mots, avec votre corps, avec des gestes. Vous pouvez prier comme vous respirez, juste en vivant avec intention.
Mes paroissiens ont commencé à se décontracter. Je ne sais pas s’ils ont pigé, mais au moins, ils ont posé des questions. Une mamie – pas la mamie espionne trilingue – juste une mamie normale qui doit être dans l’église depuis environ 90 ans s’est complètement décomplexée et m’a même dit : « Ben alors, par quoi on commence ? ». À quoi j’ai répondu : « On s’assied, et on parle avec Dieu ».
Ça va sans dire bien sûr, mais enfin, ça va mieux en le disant.
À la fin, pour finir de décontracter tout le monde, je leur ai même cité cette prière que j’aime bien : « La complainte cosmique »
Une prière à dire
quand la vie t’achève
que tu as l’impression que tu vas crever
que tu es bien trop claqué pour prier
et de toutes façons tu n’as pas le temps
et en plus tu en veux à tout le monde :
« Au secours, aide-moi ! »
Une prière qui bien sûr pourrait m’être utile en ce moment. Une lectrice fidèle me demandait l’autre jour si dans l’église anglicane, les prêtres disent aussi leur bréviaire. Nous avons en effet une prière du matin et du soir, avec des hymnes, de psaumes et des extraits de l’Écriture à lire tous les jours. Mais comme c’est l’église anglicane, vous n’êtes pas obligé non plus. Avec Dieu, c’est comme dans la vie : vous avez besoin de structure, mais c’est rarement dans la structure qu’on s’éclate le plus. Un peu comme au boulot, finalement. Mais bon, les offices, je les fais en général, même si je m’endors un peu dessus en général.
Tiens-donc.
Peut-être qu’au final, pour retrouver le sommeil, je devrais réfléchir un peu moins, et prier un peu plus.
Mais vous savez ce que c’est, ce sont souvent les cordonniers les plus mal chaussés. Tenez, à écrire cette après-midi à écrire cet article, j’en ai oublié de dire mon chapelet !
Pas de conseils pour bien dormir, juste un virtual hug d’une compatriote insomniaque aussi en ce moment… Je vais peut etre me mettre à prier. J’ai bien pris un chat il y a un an… 🙂
C’est drôle ce que tu me dis, car j’ai failli écrire dans mon article « Dieu c’est comme un chat, quand vous n’en avez pas vous ne voyez pas l’intérêt mais après vous ne pouvez plus vous en passer »
Est ce que Dieu ronronne quand on lui gratouille le ventre?
Je me plairais à penser que oui, mais je n’ai pas toutes les réponses, loin s’en faut. Je me réjouis néanmoins que ce blog nous permette d’approfondir le débat théologique !
Certes. mais au final, je ne ferai que partager cette magnifique reprise : https://www.youtube.com/watch?v=qpYW3qng78E
🙂
j’attends maintenant le « je dors bien,ne t’en fais pas » Penses tu simplement à respirer à fond et régulièrement tout en faisant ta « prière du soir »?
Oui.
A NE PAS PUBLIER !
Ta lectrice fidèle, c ta môman ???
à bientôt au téléphone, j’espère…
on essaie ce mercredi ???
Avis à la populaschtroumpf : Je n’ai pas fait les réglages de « modération des commentaires » sur ce nouveau blog. En d’autres mots, tout ce que vous écrivez est immédiatement publié…au su et vu d’environ une dizaine de lecteurs. À vos risques et obélix ! (je suis d’humeur pouet pouet ce soir)
PS : Oui c’est môman…
Ah et un conseil pour le sommeil : le verre de bon vin est une bonne idée. Ca n’aide peux etre pas a dormir, mais c’est toujours agréable:)