New-York ou le petit voyage

La première que je suis allée à New-York, j’étais comme une gamine : excitée, excitée, excitée.

Si je me souviens bien j’avais fait au moins trois articles d’affilée, publié des dizaines de photos d’un intérêt assez discutable, moi en chepka sur Times Square en train de me geler le bout du nez, Xavier au Pain Quotidien en train d’officier avec un cookie géant, et des titres de post assez révélateurs, genre : « Voir Manhattan et mourir ». Bref, je n’avais pas grand chose à dire à part que j’étais heureuse, heureuse, heureuse. New-York, j’y avais été, voilà. New-York, c’était un événement en soi. Mais voyez ce que sont les choses, alors que je préparais mon dixième petit voyage dans la grosse pomme le week-end dernier, je me demandais si ça allait même être la peine de mentionner ça dans mon blog. Il n’y allait pas avoir grand chose à raconter. Parce que en dix séjours, j’ai eu le temps d’en faire des trucs à New-York: Battery park, Wall Street, Brooklyn Bridge, Brooklyn tout court, Chinatown, Little italy, Harlem, le Met, les Cloîtres, le MoMa, Broadway, Washington Square, Union Square, Greenwich Village, Chelsea market – pris le shuttle pour state Island, et je me suis même perdue dans le Bronx – la totale quoi. Bref, je ne sais pas si je suis déjà en mesure d’écrire mon propre guide, telle Pénélope Bagieu votre bobo préférée, mais enfin, j’ai largement passée mon initiation. Maintenant quand je lis un bouquin ou que je regarde un film et que ça se passe à New-York, je sais exactement où c’est : Strands, c’est là où j’ai pété la bandoulière de mon sac car j’avais pris trop de bouquins, Rector Street, c’est là où j’ai acheté une bouteille d’eau à $5 car il faisait 45 degrés à l’ombre des buildings, la High-line c’est là où j’ai dû m’affaler sur un banc parce que j’avais trop mal aux pieds. Jouissif. Émouvant. Enfin tout ça pour vous dire que la grosse pomme, je la connais presque comme ma poche maintenant.

Et d’ailleurs pourque97ee5736bd0b39e95227fad1637066c.1500oi la grosse pomme ? Une des multiples questions qui me taraudait sans que je n’ose jamais la poser de peur de passer pour une béotienne – béotienne que j’étais naturellement. En quoi New-York peut être assimilé à une pomme, eh bien ce n’est pas seulement parce que New-York est le symbole de la tentation mais il suffit de prendre le métro pour comprendre, en tous cas il m’a fallu prendre le métro pour comprendre, et de me rendre compte en voyant le plan du réseau que New-York (1) en fait ce n’est pas Manhattan, mais c’est aussi le Bronx, Brooklyn, le Queens et Staten Island, au milieu coule une rivière et vlan…vous avez en face de vous, avec quand même un peu d’imagination, une parfaite petite popomme coupée en deux (très important).

Avouez que vous en apprenez des choses avec moi.

Mais en fait ce n’est pas du tout ça que je voulais vous raconter – je ne résiste simplement pas à partager ma science. Non, ce que je voulais vous dire bien sûr, c’est que New-York c’est très surfait. C’est tellement simple d’y aller de chez nous, c’est aussi simple que de monter dans le bus – et c’est exactement comme ça que nous y allons. 4h30 de route si tout va bien, ce qui n’est jamais le cas bien sûr car comme vous pouvez l’imaginer la liaison Washington-New-York est toujours un peu encombrée sur la fameuse Interstate 95, qui pour une raison facile à deviner, a la réputation d’être l’autoroute la plus cauchemardesque des États-Unis. Mais bon, le maximum que j’ai fait ça a été 7h un vendredi soir – 1h30 rien que pour passer le tunnel de Manhattan – il n’y a pas trop à se plaindre, le billet coûte $25, il y a les WC dans le bus, l’air conditionné bien évidemment, et on peut s’arrêter dans le Delaware pour acheter des Bagels sur l’aire d’autoroute. Ce n’est pas que le Delware ait une spécialité de bagels, c’est juste que c’est à mi-chemin et qu’il y un Starbucks au milieu. La preuve en image, cette photo du plan que j’ai faite rien que pour vous afin que vous vous rendiez bien compte  – voyez comme je vous bichonne:

WP_20160109_11_33_37_Pro-close-upAlors New-York oui, un voyage de routine. Presque pas du jeu, car vous ne pouvez même pas avoir le stress des valises. Quoique vous puissiez oublier, votre rasoir ou votre après-shampoing, pas d’inquiétudes tous les magasins de première nécessité (mais oui l’après-shampoing en fait partie!) ou « convenient store » sont ouverts 24h sur 24h à deux pas de n’importe où où vous pouvez loger. Nous en général on loge dans l’Upper East side, pas qu’on soit snob, c’est un peu le 16ème français, mais parce qu’on a des copains là-bas puisque c’est aussi – entre autres – le quartier français (ceci expliquant cela). Dans le quartier français, ils soignent les détails de la snobitude jusqu’aux bouts des ongles – ou plutôt des fourchettes, parce que, par exemple cette fois on est allés manger à « Mon petit café » (en anglais dans le texte) et non seulement le serveur vous propose un onglet à l’échalote parfaitement non-cuit à point (les américains font griller la viande à mort, genre carbonisation barbecue), vous amène aussi une panière de pain (gratuite) et en fin de repas vous offre un café avec « ses petites gourmandises » (et non un vulgaire supersized triple layered chocolate cheesecake overload), mais le comble du bonheur quand même c’est quand vous l’entendez s’exclamer avec un parfait accent parisien : « Putain mais ils vont pas me faire chier, merde » après avoir pris la commande de la table à côté. Bon j’arrête de raconter ma vie – vous l’avez compris, à New-York, on est comme la maison, quoi.

Ce qui n’empêche pas d’avoir des surprises. Car quand on voyage, bien sûr, on ne fait pas que se déplacer dans l’espace, on se déplace aussi, bien sûr, à l’intérieur de soi. C’est là bien sûr la racine du verbe « é-mouvoir », être é-mu. « Un grand moment de motion », comme disait le « Toscan s’est planté » des Inconnus. Bien sûr, je suis une émotive à la base, surtout en voyage où je trouve que tout est tellement beau dans ce monde et où j’ai toujours peur de perdre mon sac (ou Xav). Je ne dors pas de la nuit avant le départ et je fonds en larmes dès que l’avion décolle.  Mais bref, cette fois mon grand moment de motion a commencé ironiquement avec une panne de métro. Parce qu’on était quand même venus pour une bonne raison à New-York, et la bonne raison – qui était aussi une bonne excuse pour échapper à mes devoirs du dimanche et filer à l’européenne, en week-end donc – la bonne raison donc, c’était Patrick, comme d’habitude. Patrick vous vous souvenez, parce que c’était avec lui que j’étais à St John’s, pendant mes deux ans de séminaire. Et puis, ce n’est pas le premier épisode de mon blog :  Patrick, on avait eu l’ordination, la première année, le mariage, la deuxième année, et cette fois c’était tout naturellement, le baptême, troisième année – baptême de sa fille Camille née il y a quatre mois. Rien de très surprenant donc. L’originalité, dans mon cas, quand je vais à un baptême chez des copains, c’est que mes copains baptisent leur propres enfants. C’est la classe bien sûr, mais ça fait quand même un drôle de choc. Car si on a calculé qu’il fallait seulement 20 minutes pour prendre l’express entre Columbus Circle et le cœur de Harlem où Patrick est maintenant recteur de la première église Afro-américaine (bien malgré lui, son chef étant décédé soudainement d’un arrêt cardiaque), ce qu’on n’a pas calculé c’est qu’il ne fallait que 20 minutes si le train passe. Si par exemple le train ne passe pas et qu’il faut appeler le taxi, ça fait plus long. Et c’est donc comme ça que je me suis retrouvée avec le privilège extraordinaire d’arriver en retard à l’église.

100_5123Bien m’en a pris.

Alors que je descends l’allée centrale, je vois mon Patrick – en prêtre, derrière l’autel – en train de réciter les prières, et ça, ça m’a fait un gros choc affectif quand même. C’était la première fois que je lui rendais visite dans son église, et c’est la première fois que je le voyais en prêtre. Et à partir du moment où il a pris Camille dans ses bras pour la porter dans les fonds baptismaux, je n’ai pas pu m’arrêter de pleurer. Une émotion presque maternelle, mais pas vraiment pour la petite, plutôt pour lui – ce qui est ridicule car il est plus vieux que moi et que je viens d’atteindre l’âge canonique de 40 ans tout rond. N’empêche. De le voir se débrouiller comme ça, prêtre, papa, responsable de son église sans que Luis (2) lui dise ce qu’il avait à faire et qu’il se débrouillait encore mieux que lui, pour verser l’eau sans en foutre par terre tout en lisant les prières et en portant sa fille – chapeau. Je n’en croyais pas mes yeux de voir comme il se débrouillait bien, de voir comme il avait grandi depuis le temps où on gribouillait nos sermons last minute dans les vestiaires quand on était étudiants – il n’y a pas si longtemps que ça. Je me suis bien gardée de lui dire, vous pensez, surtout devant ses paroissiens, imaginez : « Dis-donc Patrick, tu as vraiment l’air d’être un prêtre maintenant »- pas sûr que ça aide, et puis aussi parce que je me doute que ça ne concernait pas que lui, cette affaire. De le voir, je me suis vue aussi naturellement. Pour la première fois, j’ai vu ce que mes yeux ne peuvent pas voir de l’intérieur – ce que nous sommes devenus. Bien sûr, j’ai encore du chemin à parcourir puisque pour l’instant je ne suis qu’assistante recteur (mon chef ayant apparemment le cœur vaillant) et que le plus proche que j’ai été de baptiser mon propre enfant, ça a été de bénir mon chat le jour de la St François d’Assise. Mais ça n’a pas à voir avec la réussite, c’est juste que la vie passe à toute allure et qu’on ne la voit pas passer. Et que surtout, ça va si vite qu’on ne se rend pas compte de ce que Dieu fait pour nous et en nous et par nous – comme dit la prière Eucharistique – et à quel point nous sommes bénis. Je ne dis pas ça que pour nous, je dis ça pour tout le monde. La vie, on est juste tellement dedans qu’on perd la notion que c’est tout bonnement un miracle permanent.

DSCF9455Une impression qui n’a fait que se renforcer dans l’après-midi alors que Xav et moi partions en excursion pour le mémorial du 11 septembre – un des endroits à New-York qu’on n’avait pas encore visité. Pour tout vous dire, je ne m’étais pas pressé car je ne m’en faisais pas une idée aussi vertigineuse. Mais les deux fontaines de « ground zéro » font bien 20 à 30 mètres de profondeur, avec un plus petit sous-bassin dans le centre de la fontaine, dont on ne peut voir le fonds. Le bruit de l’eau en cascade est sans interruption, les noms des victimes tout autour, comme un murmure à la mémoire de tout ces gens. Si vous marchez en silence – sans tenter un selfie devant la chose avec tous vos copains, comme nous en avons vu beaucoup – vous vous laissez saisir. C’est une chose qui m’a surprise quand il y a eu les attentats en France de voir à quel point il était difficile pour beaucoup de se laisser saisir, qui préféraient évacuer la chose avec des commentaires du genre : « Ah mais de toutes façons ça arrive tous le temps dans d’autres pays », « On s’en doutait », « C’est pas pire que ce qui se passe ailleurs » – alors que si c’est effectivement plus facile de sentir l’empathie avec les gens de votre propre pays ou qui ont une culture proche de la vôtre, parce qu’on s’identifie, l’empathie ce n’est pas non plus un péché. Alors oui le 11 septembre on en a beaucoup parlé bien que des gens meurent partout, tout le temps, mais enfin toucher le cœur d’une tragédie, c’est toucher le cœur de toutes les autres aussi. Mais le cœur, bien entendu, c’est l’endroit où c’est le plus difficile d’aller.

La vie est un miracle, bien sûr, bonjour le cliché. Ce n’est pas seulement ce que je voulais dire. Ce que je voulais dire, c’est que nous sommes vraiment tous extraordinaires et uniques et que si je devais expliquer mon boulot, je crois que ce serait ça : faire comprendre aux gens à quel point ils sont tous extraordinaires, uniques et importants. Et que la pire violence et la pire haine, c’est de dire aux gens qu’il ne sont rien, qu’ils sont vides, qu’ils existent ou qu’ils disparaissent, ça ne change rien – ground zero. Au musée du 11 septembre, il y a des enregistrements des proches des victimes qui racontent des anecdotes sur ceux qu’ils ont perdu, une petite biographie. Même celle d’une petite fille de quatre ans qui « aimait aider sa grand-mère au jardin et embrasser les fleurs ». Je ne pense pas qu’il s’agit de se souvenir de tous ces gens à tout prix. D’une façon ou d’une autre, ils seront oubliés, comme nous tous. Je crois qu’il s’agit de dire qu’ils ont compté et que leur vie n’a pas été en vain.

J’ai appris qu’au milieu des décombres, des secouristes ont retrouvé deux colonnes en métal enchâssés comme une croix, ressemblance avec la croix du Christ d’autant plus frappante qu’un morceau de tôle plié sur un bord figure le linge que l’on représente parfois sur les crucifix pour signifier la Résurrection. Je crois vous avoir déjà dit que Patrick a échappé au 11 septembre – il avait, voyez ce que sont les choses – raté son train et était encore dans la station de métro quand la tour à côté de laquelle il travaillait s’est effondrée. Est-ce que c’est injuste de continuer à vivre quand les autres sont morts, je ne sais pas, est-ce que Dieu a des préférés, je ne crois pas. DSCF9444Ce jour là, j’ai pensé à Patrick et à tout ce qu’il a accompli comme à cette croix sortie des décombres. Un signe. Un signe qu’on a le droit d’espérer, que quand il ne reste plus rien, il reste le Christ et que dans sa chair et son sang, dans sa souffrance et sa passion il nous porte et nous emporte avec lui.

Quand il ne reste rien, il reste Lui. Que comme cette vie semble se dilater sans cesse pour nous mener vers une vie plus grande, d’enfant à adulte, peut-être qu’en vieillissant et en mourant on quitte ce qu’on a pour une vie plus grande.

Le jour de mes quarante ans, mon orchidée qui fleurit une fois tous les six mois, a fait une fleur, comme ça. Juste une. Un signe ? Je ne sais pas, mais je l’ai embrassée, naturellement.

En souvenir de la petite fille.

Au final, on a fait pas mal de trajet, en peu de temps.

V__110C(1) Alors je ne voulais pas aller trop loin pour ne pas vous embrouiller davantage, mais les américains disent toujours « New-York city » pour parler de New-York. Si vous dites à des américains que vous allez à « New-York », vous les confusez, ils pensent que vous allez dans l’État de New-York et vont vous demander si vous allez à la plage ou faire du ski (selon la saison).
(2) Bah. Vous vous souvenez de Luis, quand même ?? C’était il n’y a pas si longtemps non plus.
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2 réponses à New-York ou le petit voyage

  1. Xav' dit :

    J’ai appris qu’au milieu des décombres, des secouristes ont retrouvé deux colonnes en métal enchâssés comme une croix (…)

    Pour celles et ceux qui s’étonnerait du manque d’illustration : il n’est pas possible de prendre de photos de ce qui est exposé dans le musée.

    Heureusement, Wikipédia vient à notre rescousse et propose une page dédiée (et illustrée) : https://en.wikipedia.org/wiki/World_Trade_Center_cross (page en anglais, il ne semble pas y avoir de page en français).

  2. Fanny dit :

    Non pas de photo mais enfin, ils vendent quand même des croix-porte-clés…

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