La folie des grandeurs

Dieu a le sens de l’humour – paraît-il.

Je ne suis certes pas une théologienne émérite (bien que je m’y applique) donc je ne veux pas parler pour tout le monde, mais quand même, je sais qu’avec moi, Dieu aime bien blaguer un peu. Je ne lui en veux pas, c’est de bonne guerre. J’aime bien blaguer sur lui aussi. Mais du coup, je me réveille parfois la nuit avec des visions du jugement dernier où d’un coup Jésus est face à moi et voilà ce n’est pas du tout le Jésus que j’imaginais, le Jésus du blog, de Julia Roberts, le Christ complice et amoureux. Non, dans ces moments là, c’est juste un Jésus – pas méchant mais enfin – un Jésus sérieux, normal, devant qui je meurs de honte en pensant à toutes les bêtises que j’ai raconté dans ma vie – en pensée, en paroles, en chaire et en ligne. Ce n’est pas cauchemardesque notez-bien, l’apocalypse je ne vois pas ça comme un feu éternel, avec des diablotins qui m’attrapent les jambes – non, je m’imagine juste rouge jusqu’aux oreilles en me tordant les mains devant mon divin Maître, réalisant que toute cette affaire, au fond, c’était vraiment sérieux et que j’ai peut-être pris les choses un peu à la légère.

À ma décharge, comme vous vous en êtes peut-être rendu compte, ma désinvolture est souvent assez didactique. Jésus a dit à ses disciples: « Vous serez des pêcheurs d’hommes », et je me plais parfois à m’imaginer en une sorte de Columbo clérical qui ferre le poisson en ayant l’air de pas y toucher, qui sous ses airs un peu rêveur et parfois carrément à côté de la plaque, pose juste la bonne question au bon moment.

Et donc croyez-le ou non : à bon chat bon rat. Il ne faut pas non plus s’étonner de trouver en Dieu un adversaire à sa taille.

Voilà ce qui s’est passé :

Comme j’ai pu l’observer dans de récents articles, mon lectorat étant relativement limité, et assez majoritairement catholique, j’essaie d’éviter des sujets trop controversés – la religion catholique elle-même, et surtout le bon pape François. Comme je lui avait déjà plus ou moins taillé un short dans un précédent article, je me suis récemment abstenue de faire plus de commentaires mais la venue dudit pontife dans la capitale washingtonienne a quand même été pour moi largement matière à réflexion, et surtout une source inépuisable de rumination et maugréation. Et donc à défaut d’écrire des articles critiquant le Pape, je me suis retrouvée à lire des articles encensant le Pape – parce que j’aime bien me faire souffrir et surtout j’aime bien m’indigner – et cela à peu près tous les matins pendant 15 jours en dépiautant le Washington Post au petit déjeuner. Car le Pape, bien sûr, il y a eu l’avant, le pendant et l’après – ça fait deux mois que ça nous occupe. Et donc lundi dernier je grinçais des dents (entre deux bouchées de bagel) en découvrant une double page consacrée à une famille dont la rencontre avec le Pape – et surtout la bénédiction que le Souverain Pontife avait accordé à leur fils handicapé – avait visiblement transformé l’existence. Et bon, je ne dis pas, c’est tant mieux pour eux mais quand même. Au bout de deux pages à décrire comment ils avaient retrouvé joie, espoir et foi dans la vie grâce à un seul geste du Pape, à un moment donné le journal m’est presque tombé des mains, je me suis dit : « C’est pas possible, est-ce qu’ils ne connaissaient pas Dieu avant de rencontrer le Pape, est-ce que ce n’est quand même pas plus important ? »

C’est là que Xavier a été content de bénéficier de ma sagesse matinale quand j’ai pu décrire en long en large et en travers le bonheur d’être devenus de vrais protestants – dont je n’avais pas tellement pris conscience auparavant – une forme de christianisme qui nous permet d’honorer le vrai Dieu, à l’abri du culte des vieillards, des reliques et des images bénites. Pas besoin pour nous de nous ruer au centre ville pour toucher un pan de la chasuble sacrée – Dieu, il est dans la Bible, c’est bien connu. Et donc au final, après avoir glosée sur la pureté et la véracité de l’anglicanisme et surtout après m’être extasiée sur ma propre maturité spirituelle, j’étais prête à passer une bonne journée – fraîchement douchée et baignée dans les délices de l’auto-satisfaction.

C’était bien sûr sans compter sur l’humour divin.

La semaine dernière au séminaire, c’était la consécration de la nouvelle chapelle – consécration qui a fait venir sur le campus tous les grands pontes de notre église. De gauche à droite – car je ne suis pas sûre que vous y reconnaissiez vos petits – Michael Curry, Président de l’église épiscopale dans quinze jours, Katharine Schori, actuelle Présidente de l’église épiscopale pour encore quinze jours, Justin Welby, Chef de la communion anglicane, Frank Griswold, ancien President de l’église épiscopale, et enfin, plus modestement, notre doyen à nous au séminaire – le chef de Xav si vous préférez.

DSCF8332smallJe me suis bien entendu rendue à l’événement avec toute la dignité et la retenue nécessaire.

Nous sommes après tout des protestants – ce qui ne saute pas forcément aux yeux sur la photo ci-dessus où on se dit que quelque part la simplicité luthérienne et la rigueur calviniste ont eu un accident d’avion en traversant l’Atlantique – ou en tous cas ont pris un sérieux coup dans l’aile. L’occasion, il est vrai, était belle, et le séminaire a mis le paquet. Xavier m’avait prévenu. Non content de consacrer le sanctuaire, la bénédiction allait s’étendre à chaque élément du décor : la croix, les fonds baptismaux, la chaire, l’autel, les cloches avec tout le tralalala, exaspérée j’ai demandé à Xav s’ils n’allaient pas bénir encore autre chose – une réflexion somme toute assez vulgaire dont je ne suis pas très fière et que je ne répéterai pas ici. Mais bref, vous voyez le tableau: Encensoir et goupillon, cierges et carillon : on se serait cru au Vatican.

Du coup, pour préserver ma pureté religieuse bien pensante, je me suis planquée au fond du sanctuaire, au dernière rang, dans un coin – bien contente de participer  – pour m’indigner certes – mais enfin c’était joli en plus et sympa de voir toutes ces têtes connues.

DSCF8377Et c’est là qu’intervient l’ironie divine car après les fonds baptismaux, les cloches et l’autel il restait en effet encore une autre chose à consacrer : une très belle icône de la Vierge (sobrement appelée « Icône de l’Incarnation »). Une icône qui se trouve dans la chapelle…

tout au fond, au dernier rang, dans un coin.

Et donc Jésus a dit « Les derniers seront les premiers », mais peut-être aussi « Rira bien qui rira le dernier ». Car c’est là que sans même avoir eu le temps de me rendre compte de ce qui se passait, je vois en ralenti cinématographique l’archevêque de Canterbury se diriger vers moi. L’archevêque de Canterbury si vous n’avait pas idée, c’est comme l’évêque de Rome dans la religion catholique – le Pape. Exactement. Bien sûr, ce n’est pas comme à Rome, on n’est officiellement pas censés lui obéir, il a une autorité « spirituelle » mais pas  « doctrinale » si vous me suivez – pas d’infaillibilité archevéquiéchiale – mais enfin, après toutes ces circonvolutions, c’est quand même le grand chef quoi. Et donc voilà le grand chef qui se dirige vers moi, avec tout son bardas, sa crosse, son encensoir et son bulletin et le grand homme, n’ayant malgré tout que deux mains pour bénir et prier, se retrouve bien encombré au moment de lire son texte.

C’est là que n’écoutant que mon instinct ecclésial,  j’interviens, attrape le bulletin et lui pointe du doigt les lignes qu’il doit lire.

Et c’est ainsi qu’au cours de la prière, mes amis,  une chose incroyable survient : Je commence à avoir les jambes qui se ramollissent et les mains qui tremblent un peu. Moi, Fanny, curé de zone résidentielle, blogueuse blagueuse, Columbo du sermon, me voilà en train de faire une bénédiction avec le Pape des anglicans. L’homme Justin, lui aussi affable et modeste, après avoir fini la prière, s’adresse ensuite à moi, me regarde dans les yeux et me remercie chaleureusement. Je réussis à articuler laborieusement un : « You’re welcome, it’s  an honor  » faisant face au grand maître rougissante, me tordant les mains, et pour tout dire, carrément au bord des larmes.

 TIME OF MY LIFE

capture-3Dieu, paraît-il, a le sens de l’humour.

Un humour indulgent et didactique bien sûr, qui m’a fait prendre un peu de recul sur certaines de mes convictions – un humour qui permet de regarder avec plus de tendresse des convictions et des sentiments qui ne sont pas les miens… mais qui au final sont aussi les miens aussi, évidemment. À ma retraite ce week-end, on nous a rappelé que Gustavo Gutiérrez, un des tenants de la théologie de la libération, grand chantre de l’égalité sociale, aussi communiste  que la foi puisse le permettre, a déclaré un jour que le sens de la justice ne vaut rien sans la tendresse du cœur.

Cette leçon vaut bien un prélat, sans doute.

La preuve que Dieu ne m'en veut pas : un joli arc en ciel m'attendait à la sortie...

La preuve que Dieu ne m’en voulait pas : un joli arc en ciel m’attendait à la sortie…

En guise d’épilogue: Ayant quitté le séminaire un peu en avance, je retourne à l’église, et c’est alors que mon chef, qui n’avait rien suivi de l’affaire, me demande, pour me mettre en boîte, si j’ai pu « concélébrer avec l’archevêque de Canterbury »… L’humour divin est un humour à tiroirs, ou plutôt un humour sans fonds.

Ce qui n’est pas surprenant. Si on y réfléchit.

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4 réponses à La folie des grandeurs

  1. chantal dit :

    Telle fille telle mère je glisse doucement vers le protestantisme….j’ai l’impression de mieux respirer !

  2. chantal dit :

    Après Obama et l’archevêque de Cantorbery who is next????

  3. Julie dit :

    J’avoue, j’ai rit… L’univers a beaucoup d’humour quand il envoie des messages! 🙂

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